Perdue parmi le dédale des boutiques du Rialto, on passe et repasse devant elle sans la remarquer, dans la ruga degli orefici ou ruga vecchia S. Giovanni, dans l'antique quartier des orfèvres et des drapiers. Longtemps fermée, elle retrouve peu à peu sa beauté. Car l'église dédiée à ce Saint Jean l'Aumônier, natif d'Alexandrie, est splendide. Sa discrète façade lui a permis d'être préservée des hordes de touristes et on y respire une paix très agréable après l'ambiance de hall de gare au moment des grandes migrations estivales qu'est devenue la basilique San Marco... .
Incroyablement dotée par les nombreuses guildes de marchands du quartier (notamment celle de "corrieri", les messagers, à qui on doit les tableaux de Saint Roch et de Sainte Catherine), cette église est une des plus anciennes de Venise. Construite en 1071, elle ne résista pas au terrible incendie qui détruisit pratiquement tout le quartier de Rivo Alto. On pense qu'elle fut reconstruite par Antonio Lo Scarpagnino qui fut chargé de la reconstruction de pratiquement tout le quartier, sous le dogat d'Andrea Gritti.
Elle était "jus patronato" du Doge qui la visitait en grande pompe chaque année pour le mercredi saint. On ne sait pas trop pourquoi l'architecte ou les commanditaires ont pris le parti de la fondre complètement dans le corps de bâtiments. Peut-être pour respecter la nouvelle unité architecturale de la rue. Je pense davantage, avec certains historiens vénitiens, que le clergé voulait continuer à louer les devants de l'église à des boutiquiers, ce qui leur procurait des revenus substantiels puisque le produit des offrandes allait aux œuvres du Doge, et pour cela il fallait une façade sobre et surélevée par rapport à la rue. Le campanile que l'on a du mal à voir quand on est proche de l'église s'est écroulé au XIVe siècle et a été aussitôt reconstruit.
Cette petite église est un véritable petit bijou, typique de la Renaissance, qui sert d'écrin aux plus beaux tableaux du Titien et du Pordenone. La représentation du saint-patron de l'église par le Titien, située sur le maître-autel est un de ses plus beaux tableaux du maître. Tintoret, Pollaioli, Vecellio et d'autres ornent l'église, son presbytère et sa sacristie. Un autre autel est orné d'un magnifique tableau de Pordenone représentant Sainte Catherine, Saint Roch et Saint Sébastien. On raconte que parmi les nobles vénitiens qui voulaient réduire les prérogatives du Titien devenu à leur goût bien trop omniprésent au détriment d'autres artistes, certains poussèrent Pordenone à défier le maître qui venait de terminer le tableau du saint patron de l'église. C'est en revenant d'un voyage à Bologne que le Titien se rendant compte du grand succès de son élève en aurait pris ombrage et demanda l'intervention du Doge pour que les tableaux de son adversaire soient placés dans un coin reculé de l'église... C'est apparemment une légende car on date le tableau de Pordenone des années 1530-1535 et celui du Titien de 1545-1550. Il y a aussi à San Giovanni Elemosinario un très beau tableau de Palma le Jeune restauré il y a peu.
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