31 mai 2007

Vivaldi, le film

Il fallait bien que cela arrive un jour. La musique de Vivaldi, les merveilleux décors naturels qu'offre Venise et tous les clichés (devenus lieux communs universels) sur les masques, le carnaval qui durait six mois, l’Église revêche et inculte avec son inquisition redoutable, les courtisanes et les intrigants, les amours faciles, Casanova et le Marquis de Sade... Tout cela devait nous être servi après avoir été dépoussiéré comme Mademoiselle Coppola tenta de le faire avec son ridicule "Marie-Antoinette" sur fonds de musique rock. Ici, le fonds sonore est plaisant puisqu'il s'agit presque exclusivement de la musique du prêtre roux (et au demeurant dans une interprétation de qualité). Mais le scénario prend beaucoup de libertés avec la réalité, le contexte de l'époque, renforçant, sans le vouloir certainement, la vision erronée et superficielle que le monde a de la Venise du XVIIIe siècle...

Je me demande s'il n'y a pas parmi les auteurs des corses ou des génois qui n'auraient pu s'empêcher de prolonger l'indicible haine de leurs ancêtres contre la Sérénissime République, sa réussite et son peuple... Bref un film loupé, raté, saccagé où de grands et bons acteurs se fourvoient dans une pantomime qui ne leur fait pas honneur. Serrault en évêque, Galabru en pape... Certes Venise est présente mais à la Sophie Coppola justement : plans mal cadrés laissant apparaître les enlaidissements modernes, les antennes de télévision (mais oui !), les fenêtres en métal et les volets en plastique. J'ai cru même voir des câbles téléphoniques et des lanternes modernes laissées sur les façades. 
 
Certes à Venise, l'atmosphère générale est vite rendue pour un public peu connaisseur. Ne suffit-il pas d'une gondole, d'un pont de brique et de pierre blanche pour que l'on s'y croit ? Les costumes sont beaux, parfaitement adaptés au film mais parfois trop aux critères de Hollywood. Pourtant c'est Cinecittà qui était dans le coup puisque c'est la vénitienne Antonia Sautter, costumière émérite du cinéma italien qui en est l'auteur. Ceux qui arpentent Venise connaissent sûrement son atelier Venetia où elle crée de très beaux vêtements, Max Art Shop et Il Sole e la Luna, sur les Frezzeria, dont les vitrines regorgent de marionnettes et de masques luxuriants.
 
En dépit des acteurs et des costumes, de la beauté effective des lieux, on ressort de là avec une impression de bâclé, de pas fini qui décevra les amis et les amoureux de Venise. Le compositeur est vu comme un personnage casanovesque souffreteux et bien triste aux prises avec l'autorité, sorte de créateur rebelle et révolutionnaire. Bref un caractère français là où on aurait dû trouver un personnage typiquement vénitien. Ou plutôt une fois de plus une vision moderne de l'homme et de l'esprit du XVIIIe siècle endommagés par la propagande républicaine radicale des siècles suivants (la maîtresse d'un de mes enfants enseignait à sa classe que le "gros" (sic) et "bête" (re-sic) roi Louis XVI avait fait tailler toutes les tables de Versailles en creux pour pouvoir y approcher sa bedaine ! où 'histoire de France revue par l'école de la République, Obélix et Louis même combat !). Enfin, et j'en resterai là, on veut montrer l'histoire d' un ecclésiastique musicien de génie pur produit du XVIIe siècle (né en 1678, il meurt en 1740) au milieu de jolies patriciennes et d'aristocrates philosophes de la fin du XVIIIe siècle. Christian Vadim qui est Goldoni - qui effectivement collabora avec Vivaldi sur des livrets d'opéra dans les dernières années du compositeur -, apparaît dans ce film vêtu comme on le fut dans les dernières années de l'Ancien Régime... Cet amalgame est horripilant. 
 
Je n'ai jamais aimé dans le cinéma les libertés prises au nom de la création artistique et qui font se pâmer quelques intellectuels trop à l'aise dans l'à-peu-près historique. Souvenez-vous le "Casanova" de Fellini. Il m'a horripilé. Autant que la vision allemande, noire et morbide de la Venise de Thomas Mann qu'avait si bien rendu Visconti dans son "Mort à Venise". Non, je préfère la légèreté du "Casanova" de Comencini, terriblement, authentiquement vénitienne. Je vais appeler mon ami Roberto Ellero, le responsable du cinéma à Venise, pour savoir s'il a vu le film et ce qu'il en pense. Je crois qu'il est urgent que Venise demande un droit de regard sur ce qui se fait dans le monde sur elle et s'arroge le droit (un devoir ?) de s'opposer à tous les projets qui répandent dans le monde une vision erronée de la Cité des Doges d'hier à aujourd'hui. Certes, le cinéma c'est le rêve, la fantaisie, l'imagination, la passion, mais pas le mensonge ni la dérision. Encore moins la crétinisation du spectateur.
 
Je ne prône pas une censure mais la mise en place d'une protection. On prend trop de liberté avec la réalité et c'est comme cela que 98% de l'humanité pense que Venise s'enfonce inexorablement, sent mauvais, que les doges étaient d'affreux tyrans assoiffés de pouvoir et d'argent, que la République avant l'intervention du petit coq corse était un bouge puant le stupre où l'aristocratie décadente et les aventuriers de la terre entière venaient s'enivrer de plaisirs défendus sous le regard hypocrite de l'Inquisition... Pourquoi ne pas demander une motion qui serait inscrite au générique de début des génériques précisant que les auteurs ont pris d'évidentes libertés avec la réalité et que le film présenté est de pure fiction afin de faire comprendre que la vraie Venise n'est pas celle qui va être vue dans les images qui suivent... 
 
Mais bon, je ne veux pas me lancer dans un combat à la Don Quichotte ! Allez voir le film et donnez-nous votre avis. C'est un plaisir pour l'oreille et d'une certaine manière pour les yeux aussi mais doit-on faire abstraction de l'histoire, des faits, des caractères en présence ? 
 
En attendant, je viens de trouver une critique du film qui va dans mon sens. Je vous la livre dans son intégralité : 
Cinéphages, cinéphiles, aspirants cinéastes du monde entier, la Mecque cinématographique se situe désormais à Saint-Médard-en-Jalles. C’est dans cette petite ville au cœur de la Gironde que se trouve l’unique salle qui diffuse Antonio Vivaldi, un prince à Venise.
Immense nanar qui défie tous les superlatifs de nullité, ce Vivaldi n’est pas près d’être oublié pour quiconque aura eu la chance (si, si, c’est une chance à ce niveau là d’incompétences) de le voir. Réinventant durant une heure et demi le dicton « incroyable mais vrai », le film de Jean-Louis Guillermou offre l’immense privilège de découvrir ce que Amadeus aurait pu donner s’il avait été tourné avec un budget de deux francs six sous par un cinéaste porno bourré dirigeant une brochette de « comédiens » sous cocaïne. Les moments de se tordre de rire (si on décide de prendre le bon côté de la chose, l’autre étant bien évidemment de s’enfuir de la salle au plus vite) sont ainsi légions.
Entre les délires de cadrage où l’on ne voit même pas l’acteur qui parle et où l’on découvre que Venise au 17ème siècle était déjà équipée en antennes télé, la pauvreté des décors (ah la cave familiale où Vivaldi fait toutes ses réunions) ou de la reconstitution historique (le souper royal façon Les Bidochons au camping), le vide sidéral de sens des dialogues assénés à répétition (cinq fois la même situation en un quart-d’heure) et le jeu ahurissant de comédiens littéralement fous (Galabru jouant le pape comme il jouait les gendarmes, Serrault pétant une diurite et se lançant dans un numéro de trompettiste à faire pâlir Charlie Parker, Stefano Dionisi en Vivaldi donnant à tous les Rocco Siffredi du monde le droit de recevoir automatiquement un Prix d’interprétation dans les festivals du monde entier), Antonio Vivaldi, un prince à Venise est une « perle » cinématographique, un événement comme on n’en voit qu’une fois dans une vie consacrée à arpenter les salles obscures.
Direction Saint-Médard-en-Jalles ?
 Il me semble que tout est dit. Quelle tristesse pour ces acteurs comme pour la mémoire des personnages évoqués que cet incroyable navet. N'en parlons plus et oublions-le !
 

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