Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

18 février 2007

Ciacole sur le campo Sta Margherita

Elles discutent sec ces sympathiques vénitiennes assises sur un banc du campo Santa Margherita. C'est qu'on ne parle que de ça en ce moment sur la campo : les riverains se plaignent de tout ces concerts qui se succèdent sur la place, avec leur inévitable cortège de nuisances sonores. Et pendant le temps du carnaval, cela ne s'arrange pas vraiment.
  C'est vrai que ce campo pittoresque se transforme peu à peu. Moins de boutiques. Elles ferment les unes après les autres et sont remplacées par des bars à la mode qui attirent étudiants et touristes. Ouverts tard le soir, ils génèrent tellement de bruit que de nombreuses plaintes ont été enregistrées à la Questure... Pourtant comme elles sont agréables ces terrasses où vénitiens et touristes se retrouvent, jeunes et moins jeunes, dans une convivialité que le monde peut envier à notre cité.

Je ne sais si vous vous en souvenez mais il y a quelques années, un plasticien du nom de Matej avait imaginé une performance assez originale et très symbolique. Il avait habillé le bâtiment qui siège au milieu de la place avec des morceaux de tissus et des vêtements de toutes les couleurs. Joli travail qui égaya le campo pendant plusieurs semaines. Cette "casa vestita" fut perçue comme un appel à l'espérance, comme redonner vie à l'échange entre les gens, les peuples, les générations. Le choix de Santa Margherita ne s'était pas fait au hasard. C'était pratiquement le dernier endroit de la Cité des doges où cet état d'esprit se manifestait encore. chaque jour, au milieu des étals des poissonniers, des fleuristes et des marchands de fruits et légumes, tout un monde se retrouvait, enfants qui venaient jouer, mamans avec leurs bébés venus prendre le soleil, personnes âgées, étudiants de la Ca'Foscari. Quelques touristes un peu intimidés devant ce spectacle intime, cette ambiance familière comme s'ils surprenaient un moment de vie familiale, s'aventuraient sur le campo. Ambiance bonne enfant. Agora, place de village, cour de récréation, réunion d'amis... Tout les qualificatifs étaient bons pour décrire cet agréable lieu. L'exposition de Matej voulait exprimer tout cela en l'appliquant à une échelle universelle. Le "united colors" de Benetton et ses campagnes publicitaires assez controversées semblent s'en être inspiré.


Pourtant s'il est de notre devoir de préserver le plus possible ce trésor du passé qu'est Venise, nous devons aussi savoir l'ouvrir aux temps modernes, la faire évoluer avec le monde. Venise n'est pas une vitrine remplie de formol où marquises et polichinelles des anciens temps continueraient d'évoluer bien protégés des bactéries du XXIè siècle. Au contraire : autrefois en permanence à la pointe de la nouveauté, politique, esthétique, économique, artistique, elle a encore ce rôle à jouer. Montrer au monde qu'il existe une parfaite adéquation entre les rythmes issus de son passé que sa structure urbaine impose, le sens de l'autre que cela implique, et les inventions du futur qui ne sont pas forcément liées à la technique comme on veut nous le faire croire ailleurs. 

A Venise on ne meurt pas seul abandonné, à Venise on ne peut rester au coin d'une rue sans personne à qui se confier. A Venise, l'autre existe et il fait partie de notre vie. Dans un monde pressé et solitaire, c'est un concept révolutionnaire. A Venise, la solidarité est une tradition. Le mélange des milieux sociaux, des races, des générations est un fait réel que le campo Santa Margherita a toujours démontré. Si les vieux vénitiens qui ne dorment plus se plaignent du bruit fait par les jeunes qui s'amusent, alors quelque chose ne fonctionne plus ici. Peut-être faut-il qu'ils soient associés à ces festivités et que de nouveau à Santa Margherita on se considère comme en famille, toutes générations confondues...