Nul ne
peut se rendre à Venise sans partir un jour à la découverte des trésors
de la Scuola San Rocco où sont présentés depuis leur création les chefs-d’œuvre du Tintoret, le plus grand peintre du cinquecento. On y
trouve le sommet de son travail acharné.
Car
le Tintoret est un monstre de travail, un hyperactif dont chacune des
actions débouche sur une merveille. Il n'arrête pour ainsi dire jamais
tant est grande sa soif de création, et forte son imagination. Entre
1564 et 1567, ce sont les grandes toiles de l'Albergo, entre 1576 et 1587, le cycle de la Sala Grande Superiore voit le jour et puis vient le Retable de l'Apparition de Saint Roch, qui termine la décoration de l'établissement, en 1588. Peintre
du gigantisme avec ses toiles aux dimensions exceptionnelles pour
l'époque, l'artiste invente d'extraordinaires compositions. Du jamais
vu. Ses personnages jaillissent du néant et prennent vie
à tout jamais marquant très fortement le visiteur.
Commandes bien
précises d'un cahier des charges rigoureux, ce cycle de peintures
religieuses, si elles ont l'air d'exploser en une cacophonie dont
l'harmonie vient du génie seul de l'artiste, n'en sont pas moins
l'application rigoureuse des exigences d'un programme religieux autant
que spirituel imposé par les orientations de la Contre-Réforme. Tintoret
révolutionne la peinture par son inventivité et cette apparente
liberté, mais il ne franchit jamais les limites imposées et c'est aussi
là le génie des commanditaires : faire dire de façon ultramoderne, voire
même en choquant et en bousculant, ce que Rome impose alors comme
l'unique vérité. On retrouve là l'esprit vénitien pour qui tout est
politique et calcul diplomatique. La Sérénissime, dans ses stratégies
d'hégémonie aurait pu basculer dans le camp de la Réforme, s'en servir
et l'imposer à toute une partie du monde. C'était sans compter sur la
prudence des marchands qui la gouvernent. Donner au monde de l'art un
témoignage puissant, indéfectible et indépassable de la Contre-Réforme
était un gage offert aux puissances alliées en soutenant Rome. Tintoret,
le visionnaire se fait le bras armé (d'un pinceau) de l'Église
et au service des ambitions de Venise. Servi la Sainte Église Catholique, mais aussi Je suis persuadé que cela
coulait de source pour lui comme pour ses commanditaires.
1 commentaire:
-
Intéressant regard, sobre et cultivé. Merci.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos commentaires :