Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

18 novembre 2010

Le roi des chats est vénitien (suite et fin)

Suite retrouvée du billet paru le 19/06/2006 
 
Me voilà de retour chez moi. Je m'installe. Mon bureau est devant la fenêtre. Quand je m'y assois, je vois le jardin, les toits et au loin un clocher qui penche. Je prend ma pipe. La boîte verte, le tabac parfumé, un peu humide. Je bourre ma pipe, l'allume avec de longues bouffées. Délices de ces premières bouffées. J'égalise la cendre. L'air se remplit d'effluves musquées et comme un peu sucrées. Je puis alors commencer à écrire. C'est l'histoire d'un chat et de son maître... Tiens, pourquoi un chat ? Je n'ai jamais écrit d'histoires d'animaux ...

Sur le rebord de la fenêtre, arrivé par je ne sais quel enchantement, j'aperçus soudain trois chats dont celui de ce matin. Je croyais rêver : tous me regardaient. Le roux au regard narquois était assis sur mon pot de romarin. Une chatte grise se léchait en suivant du regard mes gestes et le troisième était carrément debout sur ses postérieurs, une patte négligemment appuyée contre la vitre. Je fis comme si de rien n'était et travaillais fort tard dans la nuit. Lorsque je terminais le dernier paragraphe, je levais les yeux. Ils étaient toujours là et semblaient tenir entre eux un véritable conciliabule, me jetant un regard de temps à autre. Finalement, intrigué mais amusé, je me levais pour ouvrir la fenêtre et les caresser. Aussitôt ils disparurent. Le chat roux avant de sauter dans le jardin me gratifia d'un clin d'œil ! Quelle drôle d'aventure. Je sais qu'à Venise tout peut arriver. Les vieilles gens prétendent que les chats des rues sont l'âme des êtres et des choses. Ils vous aideraient ou vous poursuivraient de leur vindicte, selon que votre cœur est pur ou flétri.

Dès le lendemain, je passais au moins cinq heures chaque jour devant ma machine à écrire. A l'Osteria de Santa Maria Formosa, comme sur la terrasse du café des Zattere ou chez Zorzi, le salon de thé de la calle della Mandorla, je ne cessais de prendre des notes, de remplir des pages et des pages... En trois semaine, le manuscrit attendu à Paris était prêt, emballé. Il fallait maintenant l'expédier. Après avoir terminé le paquet, joliment couvert de ce papier brun qu'on ne trouve qu'ici, je me couchais et pour la première fois depuis longtemps, je me sentais satisfait.

Le temps était très mauvais le lendemain matin, quand je me réveillais. J'entendis même la sirène de l'acqua alta. Mon premier acte de la journée serait de poster le manuscrit. La veille, j'avais eu mon éditeur au téléphone qui avait promis de m'expédier un mandat assez conséquent. De quoi payer les trois prochains mois de loyer et un billet de train pour Naples où je comptais me rendre pour le vernissage d'une exposition. Il pleuvait mais mon cœur était en fête. A la fenêtre, le chat roux qui refusait toujours de rentrer dans la maison, était là, l'air affable. On eut dit un marquis de Goldoni ! Arrivé au Rialto, à la Posta Centrale, je le retrouvais, lissant ses moustaches sur la margelle du puits du cortile, en compagnie de ses acolytes. « Bah ! », pensai-je, «à Venise tous les chats se ressemblent ...»

Extrait de «Venise, l'hiver et l'été de près et de loin»
à paraître aux Éditions Tramezzinimag

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3 commentaires:

VenetiaMicio a dit…

Merci pour ce petit extrait de "Venise, l'hiver et l'été de près et de loin", j'ai vraiment hâte d'en lire tout son contenu...
Je les aime ces chats de Venise mais quel dommage de ne plus en croiser et faire un bout de chemin en leur compagnie, comme autrefois !
A bientôt Lorenzo et excellente journée
Danielle

Lorenzo a dit…

Avec plusieurs amis, pazzi di gatti, nous avons décidé de repeupler - sous contrôle d'un planning familial félin - la ville de sa population. Le complot se trame peu à peu. A chaque voyage, nous envisageons d'amener une jolie jeune chatte, voire des portées. Vaccinés, tatoués, ils seront peu à peu lâchés dans la ville, avec des points de ralliement pour les soins, la nourriture et les abris, à proximité d'un relais humain, mamma (ou babbo) gatto. Nous nous emploierons à convaincre la municipalité...
S'il devait ne plus y avoir de vénitiens à deux pattes, qu'il y en ait toujours sur quatre, dignes cousins du lion ailé...

Anne a dit…

C'est une excellente initiative que celle des "pazzi di gatti". Je leur adresse tous mes encouragements!
Anne

 

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