Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

19 octobre 2012

Pour changer (un peu) de registre.



 
Notre monde est en proie à des mutations profondes, la crise économique qui secoue le monde entier et submerge l'Europe a des conséquences sur chacun d'entre nous, mais cela ne doit pas nous empêcher d'avancer sur le chemin de nos vies. Savoir qu'à Venise aussi on lutte, on manifeste, on s'oppose, on débat, on réfléchit, confirme s'il était besoin que nous vivons, malgré nous, dans un monde parcouru par les mêmes spasmes, encombré par les mêmes blocages. 
 
Mais avec Venise, il y a un plus. Même envahie, abîmée par la modernité, elle persiste dans son rôle de modèle, de laboratoire naturel. Création totalement anti-nature, elle a su se fondre avec la nature, s'assimilant à un environnement difficile à qui elle doit d'avoir eu à plusieurs reprises la vie sauve. Avec la nature, elle a construit son rythme, son mode de fonctionnement et de développement. Au-delà des choix que ses dirigeants ont pu faire - ou ne pas faire - au fil des siècles, la Sérénissime s'est imposée très tôt comme un modèle de vie, d'organisation. Vivre à Venise est une philosophie. 
 
De là à prétendre que les vénitiens détiennent une sagesse particulière, il n'y a qu'un tout petit pas que d'autres avant moi n'ont pas hésité à franchir. Le Corbusier disait que Venise était la ville idéale. Hugo Pratt met dans la bouche de Corto Maltese des propos similaires. Brodsky, Sollers, tant d'autres ont exprimé leur admiration devant cette cité idéale que l'inculture de nos contemporains expose à la destruction quand ils cherchent à lui imposer des modèles totalement inadaptés à sa structure, à son essence même, vouant inexorablement la Sérénissime à perdre son âme, mais aussi sa vie. 
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"Venise est une ville qui subit son sort plutôt qu'elle ne choisit son destin." 

C'est ce qu'expliquait récemment, notre consul Gérard-Julien Salvy à l'Ateneo Veneto. Le consul de France, qui s'exprimait à titre personnel, dénonce avec vigueur « toutes les errances et tous les renoncements ». Venise n'est pas une ville comme les autres villes. Cette exception fait de la cité des doges un modèle unique, un laboratoire où tout ce qui touche à l'humain, à l'environnement urbain, à la circulation des marchandises et des hommes, à l'approvisionnement, au tourisme, à la conservation du patrimoine artistique, à la socialisation en milieu urbain, est depuis toujours sujet de réflexion, de recherche et d'innovations. 
 
Dès que les bases qui président à ces travaux sont imposées à l'identique de celles qui sont utilisées partout ailleurs dans le monde, on obtient à Venise des résultats catastrophiques. Les exemples depuis l'industrialisation de Porto Marghera par le comteVolpi entre les deux guerres, jusqu'aux Maxi Navi d'aujourd'hui, en passant par le Mose et le projet de Sublagunare, rempliraient des centaines de pages...
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En revanche, quand on reprend les méthodes du passé, quand on analyse les usages du temps de la République, on s'aperçoit vite de leur évidente efficacité. Loin des obstinations modernistes des ingénieurs de Rome, des vénitiens se penchent sur les usages d'autrefois avec succès. Ce ne sont aucunement des passéistes, mais au contraire désormais des innovateurs. Là aussi, les exemples sont nombreux : 
 
- La fabrication des briques se refait à l'identique, avec les mêmes matériaux, les mêmes moyens de cuisson - améliorés par les outils d'aujourd'hui -. à la place des briques de fabrication industrielle, pour réguler le problème de l'effritement des parois ; 
- Le déploiement d'une production horticole à taille humaine de proximité et transportée quotidiennement vers les marchés de Venise ; consommés quelques heures après leur récolte à quelques kilomètres du lieu de vente ; 
- Le curetage régulier des canaux, abandonné dans les années 50, une obligation autrefois imposée aux riverains, est peu à peu repris, diminuant la pollution des eaux, et participant au maintien d'un niveau des eaux raisonnable... 
 
La série est longue et bien qu'il y ait encore beaucoup de réticences et énormément de sujets à traiter, ces exemples montrent bien combien Venise est un laboratoire dont les applications peuvent servir au monde entier.
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Souvent des lecteurs me reprochent « cette manie d'appuyer là où ça fait mal » et de publier des billets nostalgiques d'un monde révolu ou pessimistes, voire trop alarmistes. Bien que de sang vénitien, je me revendique comme méridional et dieu sait combien un méridional est vitupérant, expressif, exagéré, emporté et en vieillissant la bêtise de certains propos, l'attitude absurde de ceux qui ont en charge notre destinée et l'imbécilité des mesures qu'ils nous imposent me mettent dans des colères noires. Ne sachant exprimer ma rage que par l'écriture, mes propos peuvent paraître outrés parfois. 
 
Cependant, j'aime aussi à exprimer la douceur d'une promenade à travers les rues de Venise. Les petits riens du quotidien m'enchantent et nourrissent depuis plus de trente ans mon écriture. Nous croyons tous que la Sérénissime nous appartient. Parce que nous la connaissons bien, parce que nous avons dans notre bibliothèque des rayonnages entiers qui débordent d'ouvrages qui lui sont consacrés, parce que nous y vivons ou y avons vécu avec l'illusion d'en être, nous estimons à tort qu'elle est notre chose. Il n'en est rien. 
 
Cependant, cet amour inconditionnel demeure une chance. Car il nous impose comme un devoir, de la défendre, de la protéger, de l'aider avec les moyens qui sont les nôtres. Toutes les contributions sont bonnes. Bien plus finalement que celles, monumentales et flamboyantes de richissimes particuliers qui se sont entichés de Venise un beau matin et la traite comme une catin qui ne peut survivre sans eux ! Cet amour, c'est la seule raison qui me fait écrire chaque jour ou presque dans TramezziniMag.

 

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