Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

09 février 2012

Le taureau d'Aquilée, allégorie du carnaval 2012

Réalisé par le célèbre scénographe et sculpteur Guerrino Lovato, l'allégorie du carnaval 2012, ce gigantesque taureau de bois et de cartapesta mesure neuf mètres de haut. La sculpture qui sera brûlée jeudi gras pour marquer la fin du carnaval et l'entrée en Carême de la Sérénissime renoue avec le passé.

L'histoire remonte à longtemps. Au début du XIIe siècle pour être précis. Le patriarche d'Aquilée, Ulrich von Treffen s'allia avec des feudataires impériaux et envahit Grado dont les salines étaient exploitées par les vénitiens, obligeant le patriarche Enrico Dandolo à fuir. Le doge Michiel II furieux envahit Aquilée et fit prisonnier son patriarche, les feudataires et de nombreux clercs. Pour recouvrer la liberté, von Treffen offrit au doge un taureau, douze paons et douze porcs. Cette compensation se transforma en tribut annuel.

Les bêtes étaient utilisées le jeudi saint lors d'une corrida qui devint vite une grande attraction. Elle s'achevait par la mise à mort du taureau. Cet honneur revenait aux membres de la Confrérie des Menuisiers dont les membres s'étaient illustrés par leur bravoure et leur fougue lors de la libération de Grado. La coutume fut abolie en 1520 par Andrea Gritti puis reprise en 1550 jusqu'à la chute de la République. Peu à peu on abandonna les porcs et les paons pour ne garder que l'imposant taureau.

L'esprit (mauvais) d'Ulrich von Treffen a dû souffler en même temps que la bora puisque l'imposante icône qui était installée depuis dimanche devant la Pointe de la Douane a été renversée ! Heureusement l'incident n'a causé aucun dommage important. Le taureau sera remis en place dès que les conditions météorologiques le permettront.

Carnaval 2012, sous le signe de l'élitisme et du grand froid

On n'avait pas vu cela depuis presque cent ans : la lagune gelée, les canaux couverts de congères comme un lac sibérien. S'il fait moins froid que du temps de ces hivers terribles que connurent les vénitiens du temps de la Sérénissime, il vaut mieux se couvrir et oublier les costumes légers pour ceux qui entendent participer déguisés au carnaval 2012.
Beaucoup à dire sur ce carnaval et les discussions vont bon train dans les bars de Venise en ce moment. Même les étrangers - du moins ceux qui sont des habitués et de Venise et du Carnaval - participent de ce mouvement de grogne : la piazza de plus en plus réduite afin de laisser la place aux Happy Few qui payent pour être du carré (géant) réservé aux VIP, les fontane di vino de la piazzetta, censées renouer avec la tradition festive du XVIIIe, obturent les arcades du palais des doges avec leurs réserves de toile. Partout des vigiles, ces milices privées qui sévissent de plus en plus dans notre monde qui se fait davantage totalitaire de jour en jour sans que personne n'y fasse attention. Ils sont partout ces gardes privés en uniforme, agressifs et nerveux - la plupart sont armés ! - qui surveillent l'entrée des magasins de luxe et les abords des lieux où vont se dérouler des manifestations privées d'où le peuple doit bien entendu être éloigné. On se croirait presque dans une république bananière... même du temps de Mussolini, l'ambiance était moins tendue...

Le monde décidément, à Venise comme ailleurs, marche sur la tête et je suis heureux de n'être jamais plus à Venise au temps du Carnaval. Les journalistes attirés par l'évènement doivent montrer patte blanche et sont traités de diverse manière - je veux dire plus ou moins bien, vous l'aurez compris - selon qu'ils sont accrédités auprès de Venezia Marketing Eventi, la société gestionnaire de la fête ou simplement mandatés par leur journal...

Je ne ressasserai pas mes vieux souvenirs du carnaval quasi-spontané des années 80, quand tout était joyeux, facile, débordant d'authenticité et de familiarité. Mon vieil ami Emilio Targhetta d'Audiffret - l'un des masques les plus célèbres des anciens carnavals - disait en 1980 : "c'est merveilleux, tout le monde est masqué, tout le monde s'amuse et comme du temps de la Sérénissime, les vénitiens sont tous là"... pourtant quel contraste entre la Venise de cette époque et ces fontaines à vin ! Le signor Rosa Salva, président de l'organisation semble cependant satisfait : bien que la régate en costume, que les vénitiens apprécient particulièrement et qui attire beaucoup de touriste, ait été annulée pour cause de mauvais temps, bien que la Bora et les températures sibériennes refroidissent l'enthousiasme des gens, tout a été mis en place pour que la fête soit réussie. Le Gazzettino appelle chaque jour les jeunes vénitiennes à concourir pour devenir les élues de la traditionnelle procession des Maries (qui aura lieu samedi soir) ; Le théâtre du Monde a été dressé sur la piazza où seront présentées plusieurs animations théâtrales. on pourra y signer la pétition de la Compania della Calza qui vise à faire revenir les cendres de Giacomo Casanova qui sont à Dux pour les faire reposer à San Michele. 

De nombreuse autres attractions sont prévues qui rendront la piazza impraticable mais raviront les visiteurs (à condition d'aimer la foule agglutinée et l'amoncellement de milliers de fêtards avinés). Les plus avisés se promèneront loin du circuit Stazione - Rialto - San Marco pour apprécier les costumes souvent très originaux et parfois somptueux qui défileront tout au long de ce carnaval 2012. Certains ont même eu l'intelligence d'organiser des rassemblements off du côté de San Elena ou San Alvise. A suivre sur les réseaux sociaux ! En attendant, les vénitiens, petits et grands, glissent en musique sur la patinoire de San Polo.

11 commentaires:

douille a dit…
Ce ridicule défilé de non-vénitiens en costume kitch pris en photo par d'autres non-vénitiens va encore me les briser menu pendant 1 mois...

Lorenzo a dit…
Ce n'est pas gentil ça ! N'ont-ils pas le droit de se faire plaisir eux aussi ? Les ambassadeurs et leur suite ne défilaient-ils pas autrefois sur les canaux de Venise. Personnellement je préfèrerai toujours ce défilé de gens passionnés aux imbéciles vulgaires qui ne viennent su la piazza que pour se bourrer la g... et faire des plaisanteries salaces même si eux sont italiens. Non non je ne suis pas d'accord avec vous. Et si de plus en plus de gens ont la nostalgie du passé c'est que le présent n'est vraiment pas beau à vivre !
Quant au kitsch, la Venise touristique qu'on donne en pâture aux hordes convient bien ce me semble à leurs appétits de pacotille. Allez, il y a un public pour Disneyland et il est de plus en plus nombreux. Nous devons tous nous faire une raison et boire la coupe jusqu'à la lie.
Anonyme a dit…
C'est quoi ce snobisme dites-donc ! Le carnaval appartient à tout le monde.
douille a dit…
Qu'ils aillent fêter leur carnaval chez eux! Oui, le carnaval appartient à tout le monde, ce n'est pas une question de snobisme, mais si votre ville et/ou votre quartier était envahi par des étrangers pendant 10 jours cela ne vous ferait pas rire. Dans mon bled, c'est la brocante un dimanche par an et ça me les brise déjà... Quand on voit pas mal de sites sur le carnaval de Venise, il y a une faune qui ne va là que pour parader avec son costume (qui est en général un ramassis de tout ce qu'il peut y avoir de plus kitsch avec souvent des couleurs que seul un daltonien myope arrive à supporter) sans aucun esprit de fête et d'autres qui vont juste là pour faire des photos... Le carnaval, c'est la fête!!! A Venise ce n'est plus la fête depuis longtemps... Si vous voulez une vraie fête revenez le 3ème W-E de Juillet...

Lorenzo a dit…
Allons allons, restons calmes et ne nous énervons pas ! Tous les goûts sont dans la nature. Bonne semaine à vous.
Anonyme a dit…
Je suis assez d'accord avec ce Mr Douille dont le franc-parler et la mauvaise humeur sont toujours assez réjouissants. Surtout concernant le carnaval qui illustre il me semble tout à fait ce que nous détestons tous : la disneylandisation de Venise, sa transformation en un musée compassé et artificiel. Cet esthétisme de pacotille n'est pas plus la vraie Venise que celle qui est envahie de touristes débraillés l'été.
Soazig
douille a dit…
Et encore, je préfère les touristes débraillés.. C'est vous dire... Ils sont naturels eux, ils viennent avec leur vilains short bariolés manger des hamburgers..

Par contre les neuneux en costume, qui on prép&ré leur ramassis de dentalles mauves à lignes vertes pendant 1 an, c'est de la préméditation...

Sinon, Lorenzo, comme si ce genre de masquarade te plaisait???
Anonyme a dit…
Froid à Venise, mais il ne faut rien exagérer! Aucun canal pris par les glaces et quelques rares flocons comme du sucre glace dimanche matin, juste de quoi faire une traditionnelle photo de gondole bâchée de blanc! mais je ne sais pas qui a vu les canaux gelés et la lagune prise par les glaces!
Des photos ici prises par moi-même ce weekeend:
https://picasaweb.google.com/Sayagou/VeniseFevrier2012

Lorenzo a dit…
Douille, j'évite de trop m'étendre sur le carnaval mais -pacotille ou non - il fait partie du paysage de la Sérénissime désormais et ne pas le citer, l'ignorer n'empêchera pas cette "disneylandisation" dont parle à juste titre Soazig (je revendique la création du terme sur TramezziniMag !) de se développer comme une lèpre sur Venise et les vénitiens. Au contraire. Non, je n'aime pas ce que l'on a fait du carnaval, ni ce qu'on est en train de faire de Venise. Mais je me dois d'en parler et de montrer tout ce qui se fait, se passe et... trépasse ! Merci en tout cas pour vos réactions et Bonne journée à tous.

Lorenzo a dit…
Je vais vous dire ce que j'aime dans le carnaval : la joie des enfants et l'humour décalé des vénitiens désabusés, mais plus que tout les fritelle et les galani !
Anonyme a dit…
Ne vous excusez pas d'aimer le carnaval, ni d'en parler Lorenzo. C'est votre blog après-tout.
Et désolée de vous avoir piqué le mot Disneylandisation, j'ignorais que vous en étiez le créateur. C'est vrai qu'il semble avoir été inventé pour Venise (même s'il va aussi très bien au Mont St-Michel).
Ceci étant, je me rappelle d'avoir passé quelques heures à Venise au début du carnaval dans les années 80, j'avais été horrifiée et avais pris la fuite, en décidant de ne plus jamais y revenir à ce moment là.
Bonne journée.
Soazig 

14 février 2012

Délices pour un goûter gourmand

Quand dehors il fait froid, quand on n'a pas envie de sortir, que pas un musée, une galerie ne nous attirent et qu'on est mieux au chaud chez soi, avec la chaleur du poêle, les bonnes odeurs de cire, de vanille et d'ambre qui parfument la maison, et le chat qui ronronne, il est doux de se mettre en cuisine. Sucré ou salé, tout dépend de l'humeur. Parfois les deux ensemble pour un dîner entre amis. Simplement aussi, l'envie d'un bon gâteau pour le thé qu'on prendra autour de la table, avec la jolie vaisselle bleue sur la nappe ancienne. Scones, buns et galettes irlandaises sont presque toujours les préparations de nos dimanches, ou du temps des vacances en hiver. Mais aujourd'hui, désir de retrouver des sensations d'enfance avec le Pudding Dandolo, le Flan Nanny et le Zuccotto. Trois délices faciles à réaliser et vraiment très bons avec une tasse de thé brûlant comme je les aime ou un bon chocolat épais à l'ancienne. Pour les lecteurs de Tramezzinimag, en voici les recettes. 

Pudding Dandolo 
Retrouvée dans un vieux carnet du temps de la conquête pour l'unité italienne, la recette proviendrait de la famille Dandolo dont il n'y a hélas plus de descendants directs pour en confirmer l'origine familiale. C'est à base de riz et de fruits confits. La recette a été adaptée pour des proportions davantage conformes à l'usage moderne. 
Ingrédients : 150 g. de riz rond Arborio, 1 litre de lait frais, 4 œufs, 100g de sucre, 40 g. de raisins de Smyrne, 40 g. de raisins de Corinthe, 1 bâton de vanille, 40 g. de fruits confits (notamment écorces d'agrumes), 40 g. de beurre frais, 25 cl de grappa, de cognac ou de rhum, chapelure, sel.
Faire cuire le riz (surtout ne pas le laver avant) dans le lait et la vanille fendue en deux. Quand le mélange frémit, ajouter le sucre, les raisins et les fruits confits, une pincée de sel et le beurre. Maintenir sur le feu jusqu'à ce que le riz commence à s'attendrir. Le feu doit rester modéré et il est recommandé de remuer souvent.
Quand la préparation est cuite, sortir du feu et mettre à refroidir. Pendant ce temps battre deux œufs entiers et deux jaunes bien frais avec l'alcool choisi. Mélanger délicatement l'appareil obtenu avec le riz refroidi.
Beurrer une couronne à savarin. La tapisser de chapelure et d'un peu de sucre roux. Y verser le mélange.
Mettre au four préchauffé (180°) pendant 30 à 35 minutes selon votre four. Quand le pudding est cuit, le démouler. Servir aussitôt ou laisser tiédir. Délicieux avec une crème anglaise. Chez ma grand-mère, on le recouvrait d'un caramel liquide. Dans ce cas, il faut réduire un peu la quantité de sucre dans la cuisson du riz. 
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Flan Nanny 
Lorsque nous étions enfants, notre mère faisait cet excellent dessert pour le déjeuner du jeudi, le jour de repos des écoliers. La vraie recette a été perdue. Je l'ai reconstituée à force de tâtonnements mais il manque toujours le petit plus lié au savoir-faire de notre mère certainement embelli par mes souvenirs d'enfance... C'est à base de porridge, facile à faire au pied levé. Il existe une variante avec de la semoule.
Ingrédients : 5 cuillères à soupe de flocons d'avoine, 250 ml de lait cru, vanille, 2 cuillères à soupe de sucre roux, 1 œuf bien frais, une pincée de sel, 2 cuillères à soupe de rhum.
Délayer les flocons d'avoine et le sucre dans le lait avec le bâton de vanille. Laisser cuire en remuant de temps à autre avec une cuillère de bois. Le mélange va peu à peu épaissir.
Pendant ce temps, battre le blanc en neige très ferme avec une pincée de sel et un peu de sucre. Dès que le porridge est cuit, y ajouter le jaune en remuant bien pour qu'il s'amalgame parfaitement, puis le rhum. Enfin, ajouter délicatement les œufs montés en neige.
Mettre la préparation obtenue dans un moule à soufflé et passer au four le temps de finir la cuisson des œufs et d'obtenir sur le dessus du flan, une jolie couleur brun clair. 
Servir chaud ou tiède. Même froid, c'est bon ! Je le sers parfois pour des dîners dans des petits pots individuels à crème. 
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Zuccotto 
Ce gâteau est une spécialité toscane. Grand classique de la cuisine toscane qu'on dit avoir été inventé par Catherine de Médicis, c'est un super dessert, variété de charlotte, un semi-freddo facile à réussir et très joli à regarder. Tout le monde le sait, l'eau vient encore plus facilement à la bouche quand les mets sont un plaisir pour les yeux. Les puristes réaliseront eux-mêmes le pan di spagna, variété italienne de la génoise. 
Ingrédients : 300 g. de Pan di Spagna ou de génoise, 30 ml de Vino Santo ou de Cointreau, 60 ml de rhum, 250 g. de ricotta, 250 g. de crème fraîche, 100 g. de chocolat à cuire, 50 g. de fruits confits, 100 g. de cassonade, 1 cuillère à soupe de cacao amer, 150 g. de sucre glace, 30 g. d'amandes en poudre (ou de pralin). 
Couper le gâteau en deux disques, diviser le plus épais en une douzaine de rectangles. Monter la crème en mousse très ferme en versant le sucre glace au dernier moment puis la mélanger à la ricotta. 
Faire fondre 1/3 du chocolat au bain-marie puis le verser dans une jatte avec 1/3 de crème. Y ajouter le cacao amer. 
Verser dans le reste de crème les amandes, les fruits confits coupés en petits morceaux et le reste du chocolat préalablement râpé. Bien mélanger et réserver. 
Dresser sur un plat le disque resté entier. Il doit être bien imbibé mais pas trop mou. Disposer la crème au chocolat sur ce disque, puis par-dessus l'appareil avec les fruits confits et les amandes et le chocolat râpé. 
Imbiber les rectangles du mélange vin doux (chez moi, on y mettait aussi parfois du Cointreau) et rhum additionné d'un peu d'eau. Les dresser sur l'appareil afin d'obtenir une forme arrondie. Vérifier si le biscuit est assez imbibé. Ajouter éventuellement de l'alcool. Couvrir l'appareil obtenu avec une feuille d'alu et une grande jatte ou un bol, voire un moule à pudding pour maintenir la forme. Mettre au réfrigérateur au moins 5 heures (attention surtout pas au freezer). 
Délicieux avec une crème-sirop au chocolat (chocolat fondu + beurre + sucre + eau). 
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Bon goûter à tous ! La neige s'est arrêtée de tomber. Un beau soleil éclaire les façades des maisons. Il fait très froid cependant. Le prétexte pour faire une bonne tasse de thé en attendant que le gâteau soit cuit.