Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

14 décembre 2016

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 34) : Venise, le miracle permanent du Giardino delle Maraviglie


Hugo Pratt en aurait fait un chapitre d'une des aventures de son Corto Maltese. En d'autres temps Casanova, Rousseau, Byron ou d'Annunzio n'auraient pu ignorer ces lieux. Tramezzinimag invite ses lecteurs à une promenade dans un lieu méconnu, caché. Derrière de hauts murs, un jardin reclus qui n'abrite pas des nonnes mais des femmes privées de liberté par la justice : le jardin merveilleux de la prison des femmes de Venise.

Mai 2016. Par une superbe journée, chaude et ensoleillée, nous débarquons du vaporetto à Sant'Eufemia, pour compléter le tournage du reportage que la RTS a commandé pour son émission Détours en juillet prochain. Depuis plusieurs semaines, nous tentons en vain de contacter des responsables de l'administration pénitentiaire italienne afin d'obtenir l'autorisation de visiter la prison pour femmes de la Giudecca. Notre objectif : suivre ces femmes qu'une association accompagne pendant leur détention pour les aider à conserver ou à retrouver leur dignité. La prison, un ancien couvent, abrite un grand jardin potager, l'un des derniers vestiges de la Giudecca d'antan, où fruits et légumes, vignes et pâturages étaient nombreux. Les détenues entretiennent le jardin, récoltent et cueillent ce qu'il produit et vendent chaque semaine, devant l'entrée de la prison, la récolte du moment. Elles fabriquent aussi des produits cosmétiques à base de plantes qu'elles cultivent ici-même.
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Le centre de réclusion comme on dit dans le langage officiel, est installée dans un ancien monastère fondé au XIIe siècle. En 1600, le couvent devient un hospice dévolu à l'accueil des prostituées repenties. D'où le nom de la fondamenta sur laquelle donne la façade principale du couvent et celui de la calle delle Convertite. A première vue, lorsqu'on arrive sur le petit campo San Cosma (ou Cosmo) avec sa petite église Renaissance, et qu'on passe le pont qui enjambe le rio de San Eufemia. rien ne permet d'imaginer qu'on approche d'une prison... L'endroit est bucolique et silencieux. De l'herbe partout, des arbres, un filet de pêche et une vieille vigne au tronc noueux... Quelques mètres le long du quai , et le promeneur se retrouve devant un bâtiment austère, plus haut que les autres précédé d'une église. Une plaque ancienne évoque Marie-Madeleine qui donna son temps au couvent, et les femmes converties à Dieu. Soumises à la règle de Saint Augustin, les ex-filles de joie vivaient des bénéfices d'une imprimerie qui fonctionna jusqu'en 1561. Sous la domination autrichienne, les religieuses furent chargées, dès 1859, de l'accueil et de la surveillance des femmes incarcérées, la supérieure devenant ainsi directrice de la prison. 
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On parle beaucoup de nos jours des jardins partagés. L'idée de mettre à disposition un espace de culture a pris d'année en année tout son sens dans les villes, au milieu de communautés souvent dépareillées, aux liens sociaux instables ou inexistants.Mais un jardin partagé, c'est aussi un lieu où l'on respire un air différent de son propre quotidien. la définition de l'organisation internationale des jardins partagés est claire :
"Un jardin partagé ne se décrète pas, il prend tout son sens parce qu'il répond aux attentes et aux besoins des habitants d'un lieu. Réunis en association les habitants gèrent le jardin au quotidien et prennent les décisions importantes collectivement."
A la prison de femmes, la nécessité du milieu carcéral a obligé les initiateurs du projet, il y a un peu plus de vingt ans, à faire quelques aménagements au principe de base de ces jardins. En prison on paye pour une faute commise. L'impérieux dénominatif commun pour toutes ces femmes est la privation de leur liberté. Elles n'ont pas d'autre option que l'assumer. L'association les aide non pas à le supporter, mais à conserver leur identité, à préserver leur dignité et à se reconstruire en partageant un projet commun autour de la vie du jardin. 
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Chaque jour, encadrées par les membres de l'association, ces dames jardinent. Tout au long de l'année, elles binent, sarclent, ratissent, plantent arrosent et cueillent selon le principe de la biodynamie un terrain de 6000 m². Tout au long de l'année, tôt le matin de chaque jeudi, les bénévoles de l'association et quelques détenues sortent par la grande porte du vieux bâtiment. Elles installent un bancarello, comme tous les fruttivendoli de tous les marchés du monde, et installent leur marchandise. légumes et fruits, des fleurs parfois, des herbes, le tout en abondance.


Le jour de notre première visite, trois détenues étaient derrière le comptoir. Des femmes venues d'Europe centrale, âgées de 25 à 40 ans. Sur une table, à côté de la caisse, un rayon de produits cosmétiques, des crèmes et des lotions labellisées bio, comme l'ensemble de la production du jardin qui a reçu le label de l'agriculture biologique en 2007. Souvent, les ménagères de la Giudecca, avec leur chariot font la queue, se disputant presque les bottes de poireaux ou les belles salades... Il faut dire que les serres du potager produisent de nombreuses variétés typiques de légumes de la lagune : radicchio (chicorée) de Trévise, de Vérone ou de Castelfranco, brocolis de Creazzo, artichauts violet de Sant'Erasmo, olives, poivrons et piments, plantes aromatiques anciennes... Les prix sont très bas. Directement du producteur au consommateur ; pas d'intermédiaire, pas de coût de transport ; pas d'engrais ni de conservateurs. Ces dames font leur compost, récupèrent les eaux de pluie et utilisent les semences issues de leur production. La biodynamie dans toute son essence et de depuis des années !



Et parfois, quand le cageot se vide et qu'il n'est pas trop tard, on va chercher pour la cliente habituée quelques pommes de terre de plus, ou des tomates. Comme dans tous les marchés, on papote, on rit, on échange des recettes... Une atmosphère bonne enfant qui semble beaucoup plaire aux détenues présentes qui, si elles restent très réservées devant notre micro et ont un peu peur de parler d'elles, nous révèlent en off ce qui leur a valu d'être enfermées là, leurs attentes et leurs espoirs. L'une d'entre elles parle un peu français. Sa famille est à Marseille. Elle est un peu triste car ses enfants sont là-bas et elle est ici pour encore pas mal de temps. Une autre nous pose des questions sur nos vies, d'où nous venons, combien de temps nous restons. Mais une cliente, une vieille dame joliment pouponnée, vient d'arriver et il faut la servir.



Les autorisations pour la visite du jardin et les prises de son avec les détenues ne nous sont jamais parvenues. Une autre fois peut-être. Nous avons heureusement pu nous entretenir avec des membres de Rio Terà dei Pensieri, la coopérative qui gère les activités de la prison, la production maraîchère, le laboratoire de cosmétique, mais aussi l'atelier de confection de vêtements avec sa boutique de Castello. Un petit film réalisé pour une chaine privée montre les détenues et les bénévoles de la coopérative dans le fameux Giardino delle Maraviglie :

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