Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

10 février 2016

Un parfum de Craven A (1)

Un matin comme les autres. le ciel était gris mais on sentait dans l'air que la journée serait ensoleillée. Antoine n'aimait pas que le ciel fut bleu quand il devait s'enfermer dans la bibliothèque. De toute manière, en ce moment, il n'aimait rien. Il croyait être triste, il n'était que maussade. Jaloux. aigri. Même sa propre image que reflétaient les vitrines ne trouvait grâce à ses yeux. Il se sentait laid, petit. Il était seul. Le vaporetto n'arrivait pas. Il allait être en retard. Assis sur la banquette en bois du pontile, il regardait ses pieds. Il les trouvait ridicules ses pieds. Quelle idée stupide d'avoir mis des chaussettes dans ses baskets. Il allait sûrement transpirer. Il faisait déjà chaud, pourtant 9 heures sonnait à peine au campanile voisin. Un mendiant passa devant lui en maugréant. Des écoliers piaillaient. Una gita scolastica comme il y en a tant à Venise. Une religieuse les rejoint avec un diable chargé de bidons d'huiles d'olive. L'idée le fit sourire : une bonne sœur toute de blanc vêtue transportant un diable sur les eaux de la lagune... Chacun allait vers son destin du jour. Sa vie à lui, que serait-elle aujourd'hui ? Dans ses écouteurs résonnait une chanson de Cat Stevens, "Morning has broken". Tout un programme. Il allait vraiment être en retard. Le vaporetto approchait enfin. Il allait retrouver Betti et Stefano, les deux seuls étudiants avec qui il se sentait bien ou pas trop mal. Ils s'étaient retrouvés après le premier cours de l'année au baretto du campo Santa Margherita. Betti était une habituée des lieux depuis le lycée et Stefano, arrivé un an plus tôt d'Ancône et qui partageait avec elle et deux autres filles le même appartement, avaient ri de retrouver leur camarade français dans la petite salle du fond où ils prirent l'habitude de se retrouver chaque jour ou presque après les cours. Thé chaud et Craven A sans filtre... Lecture aussi, car Antoine n'est jamais sorti sans un livre dans sa poche ou à la main. En ce moment, c'est Mallarmé qui l'accompagne dans son quotidien.
(à suivre)