J'avais vu le film de Jane Campion à Venise à sa sortie. Faire revivre John Keats et aller au gré des sentiments du poète, des tensions que l'époque souvent faisait naître quand les usages et les règles étaient balayés par la passion, d'autant plus forte qu'elle ne semblait jamais devoir s'épanouir un jour. Vous savez sans doute l'histoire, brève et trop raide, du poète dont la vie fut trop courte (il est mort à 25 ans), mais son œuvre demeure et c'est celle d'un géant de la poésie...
Est-ce parce que j'ai découvert Keats lorsque ma jeunesse s'épanouissait à Venise, ardente, libre et passionnée, que j'assimile l’œuvre du poète à l'atmosphère de la Sérénissime, aux ciels uniques et au silence de ses rues la nuit, au clapotis des canaux, au bruit que font les barques qui glissent doucement sur l'eau ? C'est pourtant davantage de prairies fleuries et de sombres forêts, de rivières qui serpentent au creux de collines verdoyantes dont l'univers du poète est rempli, et non pas des eaux silencieuses des canaux de la Sérénissime. Les vagues qui s'élancent sur le sable du Lido sont absentes de son imaginaire. Il ne les connait pas...
Pourtant quand un matin, notre barque amarrée à un vieux ponton branlant, nous avons suivi le chemin qui mène à une chapelle en ruine, au beau milieu de la lagune, et que soudain, devant nous, posé sur une branche d'un arbre à presque mort, un rossignol s'était mis à chanter comme en rêve, John Keats était là, quelque part près de nous. Les herbes hautes embaumaient, le ciel était d'un bleu très pur et l'oiseau chantait joyeux...
Mon cœur souffre, une torpeur accablante s’empare
De mes sens comme si j’avais bu de la ciguë,
Ou vidé une coupe de puissant narcotique
À l’instant même et m’étais plongé dans le Léthé :
Ce n’est pas par envie de ton heureux destin,
Mais parce que je suis enivré de ton bonheur,
Toi, qui, Dryade ailée des arbres.Dans quelque mélodieux entrelacs
De hêtres verts et d’ombrages infinis
Chantes à plein gosier le calme de l’été.
Mais peut-être dois-je arrêter de toujours ramener tout à mon passé vénitien qui a le tort d'être passé et de n'intéresser guère les gens d'aujourd'hui... John Keats n'a jamais mis les pieds à Venise. Phtisique, on lui recommanda plutôt l'air vif et pur de la campagne romaine et contrairement à d'autres parmi ses contemporains, le voyage, l'exil volontaire loin des brumes nordiques, ne fut pour lui qu'une terrible contrainte incapable de le guérir de ses amours malheureuses.
Mais qu'en aurait-il été de l'âme du poète s'il était venu rejoindre la cohorte des britanniques dont le voyage en Italie s'arrêtait à Venise ? Aurait-il écrit d'autres vers immortels, des strophes que le monde associerait à la Sérénissime, à ses eaux, à sa lumière ? Le soleil du Lido, la sérénité de la lagune peut-être en guérissant son âme auraient guéri son corps...
John Keats,
La poésie de la terre ne meurt jamais.
Édition de Frédéric Brun.
Trad. de l’anglais par T. Gillybœuf et C. A. Holdban.
Éditions Poesis, 128 p., 16 €
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