Athènes - 08/01/2013 - © Panagiotis Grigoriou |
Une
fois n'est pas coutume mais ne devrait-ce pas devenir l'usage ?
Tramezzinimag est un lieu où l'esthétique et la beauté, la joie de vivre
et le bonheur animent une passion commune. Venise est pour la majeure
partie d'entre nous un lieu où nous nous rendons, plus ou moins souvent,
selon le temps dont nous disposons, selon nos moyens. Un lieu de
"villégiature et d'épanouissement culturel" comme l'écrit un de mes
lecteurs luxembourgeois. Tramezzinimag tente d'accompagner et de
traduire cet état d'âme commun à tous les Fous de Venise que nous
sommes. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres de la lagune il y a
des grincements de dent et des larmes de deuil. On n'aime pas trop
évoquer le malheur des autres. Surtout quand on devine qu'il pourrait
être contagieux. C'est pourquoi Tramezzinimag soutient et parraine
désormais le blog de l'anthropologue et historien Panagiotis Grigoriou et vous invite à le soutenir par vos encouragements sur son blog mais aussi par vos dons. C'est de survie dont il s'agit.
L'hiver
règne sur l'Europe. Affaire de saison me direz-vous. J'ai envie
d'écrire que cet hiver là est un peu plus rude, un peu plus sale que
celui que nous impose chaque année la nature. Il neige à Athènes. Une
fine poudreuse qui crée des embarras aux abords de la capitale hellène.
La pollution du ciel pénètre les maisons et les poumons, même en
Thessalie. Ceux qui dorment dans la rue ont encore plus froid qu'avant.
Les grands feux qu'allument chaque jour le peuple en colère ne réchauffe
que les cuirasses des forces spéciales en permanence sur le qui-vive.
Atmosphère de guerre civile et surréaliste train train habituel dans les
rues des grandes villes. Embouteillages, foules sur les trottoirs et
dans les cafés... Et pourtant.
Nous
vivons bien en France en dépit de cette crise qui ronge depuis des mois
une partie des pays frères, ceux pour qui l'Europe s'avère désormais
impitoyable et qui perdent leur âme dans un grondement de plus en plus
audible. Bien qu'éloignée encore, la tempête qui les emporte et sème la
ruine et la désolation, est pourtant à nos portes et nous continuons de
ne rien voir. Mais en Grèce ? J'y ai des amis autrefois parangons de
sérénité et de bonne humeur, dont l'hospitalité était toujours joyeuse
et pleine de surprises. Ils n'ont plus rien aujourd'hui. Plus de
retraite, plus de sécurité sociale, plus d'économie ou presque. Leur
grande maison ancienne dans le beau et pittoresque quartier de la Plaka
d'Athènes n'est plus chauffée en hiver, les volets ne sont pas repeints
et il leur faudra peut-être bientôt la vendre. Ils envisagent de se
réfugier à Lindos, dans une petite bâtisse toute blanche où ils allaient
l'été, recevant des amis d'amis. Mais la maison dans l'île de Rhodes
sera peut-être vendue. La banque réclame des intérêts de prêt, ils
croulent sous les impayés. Ce n'étaient pourtant pas les premiers venus.
Ils ont travaillé toute leur vie. Jeunes retraités, ils peuvent avec
satisfaction voir le parcours de leurs enfants, tous universitaires
brillants mais sans salaire depuis des mois ou presque. Alors, ils vont
dans la rue. Chaque jour. Aider et consoler ceux qui sont encore plus
mal lotis qu'eux. Ils partagent la fureur de tous les grecs face à cette
situation qui rappelle aux plus vieux de bien tristes souvenirs.
La
police est partout, et partout les violences se multiplient comme aussi
les actes de désespoir. Et nous, à Venise, en France, en suisse, en
Belgique, au Canada, ailleurs aussi, on ne sait pas ou on ne veut pas
savoir. On écoute sagement ce que disent nos dirigeants, et prenons
pour parole d'évangile ce que relaie la presse. "C'est leur faute,
ils n'ont que ce qu'ils méritent", "la Grèce vivait au-dessus de ses
moyens", "ils paient maintenant pour avoir été malhonnêtes avec les
institutions européennes"... Mais de la souffrance quotidienne de la
population, des faits divers suscités par cette désespérance qui se
multiplient, personne ne parle chez nous. Et ce qui pouvait rester de
dignité à notre presse s'efface sous les effets d'une pensée unique.
Totalitaire déjà. Qui a parlé au
printemps dernier du suicide de ce vieil homme, pharmacien à la retraite
qui se sachant destiné à finir dans la rue, en dépit de trente cinq ans
de cotisation pour une retraite confortable n'avait plus rien et qui ne
voulait pas faire violence aux autres. Il s'est suicidé sur la place
publique. Par désespoir. parce qu'il lui semblait revivre les pires
années collaborationnistes du temps de l'occupation allemande. La
première, celle des nazis (cf. Greek Crisis)
Les plus anciens lecteurs de Tramezzinimag
se souviennent de mon obsessionnelle opposition au Traité
constitutionnel européen, ce combat pour le non qui m'a valu menaces,
injures, fâcheries, vexations de tous ordres. Combien d'amis ai-je perdu
qui me jugeaient rétrograde et buté, voire stupide quand je faisais
campagne contre ce traité en brandissant des arguments dont j'espérais
pourtant que jamais nous aurions à en vérifier la véracité. Parce que
j'étais, je suis, je demeure, un fervent partisan de l'Europe. La
souffrance et le malheur des grecs, sera bientôt celle de tous les
peuples qui composent l'Union. Il est encore temps de réagir. il est
encore temps d'ouvrir les yeux et de se battre pour une Europe
solidaire, une Europe des Nations, des peuples. pas une Europe des
banques et des technocrates. Patrie de la démocratie, la Grèce s'enfonce
dans un totalitarisme déguisé où la haine peu à peu s'empare de tous
les cœurs, où la liberté s'étiole et le désespoir grandit heure par
heure. Nous avions donc hélas raison, nous les partisans du non sur qui
tous ont craché, les médias, les politiques de droite comme de gauche,
les Églises mêmes parfois...
Si vous avez lu ces lignes jusque là, n'est-ce pas par empathie pour ces peuples si proches, hier encore riches comme nous le sommes, insouciants de ce qui se tramait comme nous le sommes ? Vous n'êtes pas dupes des discours qui nous sont assénés depuis des mois sans pour autant hurler avec les tristes loups des extrêmes qui se servent de cette situation presque apocalyptique pour vendre leurs mauvais remèdes. A la peste ultralibérale ne répondons pas une fois encore par cette autre peste, d'une triste couleur brune dont les générations avant nous ont tristement fait les frais. Et si on s'éloignait de cette Europe-là ?
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