Je ne sais pas vous, mais nous ici, lorsqu'un visiteur imprévu sonne à
la porte à peu près à l'heure du dîner, il nous est difficile de
l'accueillir sans lui proposer de rester dîner. Comme notre vie à Venise
est en général sous le signe du farniente et que nous réduisons notre
vie mondaine à un niveau genre en-dessous de zero, j'ai pris
l'habitude de remplir mes placards d'ingrédients-secours qui me
permettent d 'improviser un repas chic pour six, huit ou quinze. C'est
vrai que la plupart du temps la cuisine de la Toletta se remplit du doux
parfum des spaghettis à l'ail ou au sugo al tonno, mais la pasta à chaque repas ça peut finir par lasser. Il y a tellement de trucs comme dirait ma fille Constance qui peuvent rendre un repas improvisé digne de Lucullus.
Par exemple la pizza speedo... Je sais certains vont pousser des hauts cris connaissant mon adhésion totale (viscérale et sans concession) au mouvement Slow Food et ma sympathie pour l'Accademia Italiana della Cucina dont j'ai eu l'honneur et la joie de faire partie (mais
je ne suis plus à jour de mes cotisations, je me contente dorénavant
d'en porter l'élégante et très britannique cravate parfois !).
C'est vrai que faire une vraie pizza n'est en rien sorcier mais quand il
faut réagir au dernier moment devant l'arrivée d'amis français de
passage à Venise débarquant à la maison avec grand-mère et enfants,
harassés et affamés, cette recette fait mouche et tout le monde
l'apprécie.
.....
J'ai toujours comme cela des produits de secours qui me permettent d'improviser des festins sans sortir toute la batterie de cuisine grâce aux bonnes inventions de ces cuisinières en vogue dont les livres apparaissent depuis quelques années sur les rayons des librairies (La cuisine de Sam qui est la bible culinaire de ma plus jeune fille et le bouquin rigolo de Julie Andrieu)... Les enfants qui m'aident le plus souvent, sont ravis de ces trésors qu'ils contribuent à faire naître. Et puis, nous inventons au gré de notre fantaisie et de ce que nous avons dans les placards. C'est plus rigolo. Nos favoris : les galettes irlandaises de Sam (vous savez le petit anglais qui lutte contre le fast food et la mal-bouffe des adolescents de la perfide Albion), les blinis rapides, le crumble de légumes, les rillettes de thon, les épaules de lapin aux oignons, le risotto aux quatre fromages, le traditionnel mais revisité risi bisi, etc, etc... Nous sommes une famille indécrottablement Slowfood même si nous avons baptisé la pizza de dernière minute pizza Speedo !



















C'est vrai que ce campo pittoresque se transforme peu à peu. Moins de boutiques. Elles ferment les unes après les autres et sont remplacées par des bars à la mode qui attirent étudiants et touristes. Ouverts tard le soir, ils génèrent tellement de bruit que de nombreuses plaintes ont été enregistrées à la Questure... Pourtant comme elles sont agréables ces terrasses où vénitiens et touristes se retrouvent, jeunes et moins jeunes, dans une convivialité que le monde peut envier à notre cité.

A Venise on ne meurt pas seul abandonné, à Venise on ne peut rester au coin d'une rue sans personne à qui se confier. A Venise, l'autre existe et il fait partie de notre vie. Dans un monde pressé et solitaire, c'est un concept révolutionnaire. A Venise, la solidarité est une tradition. Le mélange des milieux sociaux, des races, des générations est un fait réel que le campo Santa Margherita a toujours démontré. Si les vieux vénitiens qui ne dorment plus se plaignent du bruit fait par les jeunes qui s'amusent, alors quelque chose ne fonctionne plus ici. Peut-être faut-il qu'ils soient associés à ces festivités et que de nouveau à Santa Margherita on se considère comme en famille, toutes générations confondues...



















