25 août 2016

Michel Butor, celui qui était toujours ailleurs

C'est le journal Le Monde qui l'a annoncé le premier hier soir : l'écrivain Michel Butor a quitté cette terre pour des rivages lointains. Il s'est éteint hier matin dans le petit hôpital de Contamine, à deux pas de chez lui, dans cette Haute-Savoie où il s'était établi il y a des années. 
 
L'amie qui m'en a informé ne pouvait pas deviner l'émotion que me fit cette triste nouvelle. Butor avait 89 ans, il s’essoufflait facilement, il marchait moins vite, souffrant d'une surcharge pondérale à laquelle il semblait s'habituer. Toujours vêtu de ses inénarrables salopettes - il en avait de divers modèles taillés dans des tous genres de tissus - le corps suivait de moins en moins, mais son esprit restait vif et juvénile, comme son regard qui brillait de gourmandise devant tout ce qui est beauté. 

Mon histoire avec Butor est à la fois très ancienne et tout à fait récente. La première rencontre a laissé en moi l'effet d'une tornade, un tsunami intellectuel (cf. Tramezzinimag du 13/01/2006, ICI). Je lui dois mon éveil. La seconde rencontre, vécue en deux temps, fut à la fois immatérielle et bien palpable. C'était en mars de l'année dernière. 

Remué encore à l'idée que je ne poursuivrai jamais la conversation timidement entamée lors de son passage à Bordeaux, je ne sais pas si je parviendrai à décrire ce sentiment qui m'étreint à l'évocation de l'auteur de L'Emploi du temps et au rôle qu'il a joué dans mon cheminement personnel et autant que dans ma relation à Venise. Le lecteur jugera.


"Mais vous viendrez me voir et nous aviserons..." C'est sur cette formule pleine de bienveillance et de bonhommie que nous nous sommes quittés, dans une rue du Vieux Bordeaux, non loin de la galerie Première Ligne fondée par notre amie commune, Cécile Odartchenko, la fondatrice des Éditions Les Vanneaux chez qui Butor a publié Octogénaire avec les illustrations de Gregory Masurovsky.  

Venu dans la région à l'occasion d'une exposition des livres d'artiste créés par lui avec ses textes autour des collages du bordelais Max Partezana (voir la vidéo de la manifestation : ICI), Cécile m'avait demandé de venir l'accueillir. C'était la première fois que je rencontrais celui qui bouleversa ma vie à distance, l'année de mes quinze ans, par ses mots... J'avais déjà dans ma tête des tas d'idées pour entamer la conversation, plein de questions à lui poser. Je devais aussi organiser pour lui une visite de Bordeaux qu'il ne connaissait pas. Le veille, pour mieux faire connaissance, nous avions dîné ensemble. En petit comité. J'avais dans les mains le livre qui changea ma vie, Description de San Marco. Sur les conseils de l'amie qui était avec nous ce soir-là (et qui savait l'importance de l'ouvrage pour moi) je m'étais résolu à solliciter une dédicace...  Mais toutes les idées,  les questions, les sujets que je souhaitais aborder avec lui au cours du dîner avaient soudain disparu. Envolées.

Timidité ? Émotion ? Fatigue ? Un peu de tout cela. La conversation fut tout de même agréable ; un babillage de bonne compagnie qu'égayaient  vin et mets délicieux. Je rongeais mon frein, agacé et furieux de ne par être capable de lui dire tout ce que j'avais en réserve, moi qui depuis des années rêvais de le rencontrer un jour... Quelques mois auparavant, mon ami Antoine était parti l'interviewer chez lui dans sa maison proche de la frontière suisse. Il y avait dormi. Revenu, il m'avait décrit les lieux, l'atmosphère unique, tout exactement comme je l'imaginais et c'était un peu comme si j'avais été là-bas moi aussi.  

La promenade du lendemain devait se faire en vélo-taxi. Il pleuvait. Un crachin gris et froid qui sied bien à Bordeaux, mais n'encourage pas aux balades. Le jeune conducteur arriva en retard. Nous nous étions retrouvés matutinalement et la pluie fine ne semblait pas vouloir s'arrêter. Butor proposa que nous allions prendre un café sur la place où devait nous rejoindre le garçon. Un troquet sans âme, "fashion" comme le souligna l'écrivain avec humour, était ouvert. Nous nous y sommes engouffrés. Puis, le véhicule arriva. Un plaid sur les genoux comme la reine d'Angleterre dans son carrosse, nous sommes partis à la découverte de la ville après avoir été photographiés par le patron. Comme nous n'avions plus beaucoup de temps et Michel Butor étant assez fatigué, nous laissâmes de côté la cathédrale, le Grand-théâtre et la Place du Parlement, la Place de la Bourse et son miroir d'eau. Toutes les églises qu'il souhaitait voir étaient fermées, sauf Sainte-Croix. En route pour l'abbatiale et ses trésors méconnus. L'enseignant qu'il était ne marqua pas d'étonnement au peu de précisions de mes explications. Toujours l'émotion et la timidité devant un de mes maîtres. Je me serai retrouvé ainsi devant Platon, Socrate ou Montaigne que je n'aurai pas été plus troublé. Il fallait pourtant que je lui parle.


Certes, lors du dîner, j'étais  parvenu à lui faire part de mon émotion à la lecture de sa Description de San Marco, lui disant tout ce que ce texte avait instillé en moi, les réponses qu'il m'avait apporté et je lui avais même raconté les anecdotes qui décidèrent ensuite de mon installation dans la cité des doges. Mais je m'en voulais d'être resté convenu, à la surface de ce flot de sentiments que son texte - et puis plusieurs autres de ses écrits depuis comme le superbe entretien qu'il eut avec Louis-Albert Zbinden pour le Courrier de Lausanne, en 1964 sur l'ouvrage en question justement (*) - avait suscité. 

En fait, je me rendis compte, alors que nous pénétrions dans l'église que j'étais comme un enfant devant lui. L'émotion de l'avoir pour moi seul, de partager avec lui réflexions et idées me bloquait autant que ma peur de le décevoir. J'ai souvent rencontré des auteurs, des ministres, plusieurs reines, quelquefois des princes et même le pape Jean-Paul II , mais jamais personne dont l’œuvre et la pensée m'aient autant marqué à un moment de ma vie.

Il fallait que je lui dise cela. Mais aussi parler du projet mûri depuis longtemps de le solliciter pour TraMezziniMag. Je rêvais d'un texte inédit où il exprimerait ses sentiments sur la Sérénissime, ses impressions, son ressenti. Nous aurions ensuite édité en tirage limité un petit ouvrage dont nous aurions choisi ensemble l'artiste pour compléter sa vision de la ville... Sur le chemin du retour, il me parla de sa maison, de ses voyages, me posa beaucoup de question sur ce que j'écrivais, sur mes origines vénitiennes, sur mes enfants... Peu à peu je retrouvais confiance et l'enfant gêné laissa la place à l'adulte posé et tranquille que je suis la plupart du temps...  

Il pleuvait toujours. Nous arrivions non loin de la pittoresque maison où il logeait, chez le sympathique  Jacques Pater, l'acteur fétiche et grand ami depuis l'enfance de Gérard Mordillat. J'avais l'impression que chaque tour de roue qui nous rapprochait de notre destination, dénouait en moi mots et idées longtemps et douloureusement refoulés. Pressé par le temps, je lui parlais du blog, de la maison d'édition, des livres d'artistes, de mes idées de collection... Il écouta tout, sans rien dire, les sourcils un peu froncés, les mains posées sur le plaid rouge qui recouvrait nos jambes. L'attitude sévère d'un magistrat. J'y décelais le signe d'un intérêt véritable. Le maître de ma jeunesse s'intéressait à mes idées !  Je n'aurai jamais imaginé être ainsi à ses côtés un jour et lui parler de moi... Et l'intéresser...
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La pluie avait cessé, le ciel semblait devoir se dégager. Il faisait doux. Butor s'extirpa un peu difficilement de la nacelle du vélo-taxi. En me serrant la main, après m'avoir remercié, il me dit "Vous savez, j'ai vu votre blog, je l'ai parcouru. Il contient beaucoup de choses. C'est particulièrement intéressant et bien écrit." Puis il ajouta : "Envoyez-moi vite votre projet. Je crois que j'ai compris ce qu'il vous faut, mais là je dois aller me reposer. Je suis très fatigué." Il me sourit et en pénétrant dans la rue du Soleil où résident les Pater, il se retourna et me lança "Mais vous viendrez me voir, on en reparlera !"...


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* Louis-Albert Zbinden, Michel Butor, architecte de San Marco, La Gazette de Lausanne, 15-16 février 1964 in-Michel Butor, Entretiens, Quarante ans de vie littéraire, vol. 1 (1956-1968), Éditions Joseph K., 1999

24 août 2016

Venezia è il mio futuro

En juillet les vénitiens ont manifesté d'une manière originale pour démontrer avec leur attachement à leur ville leur détermination à faire bouger les choses face à l'inertie de l'équipe Brugnaro

Un groupe de jeunes gens entre vingt et trente ans s'est organisé, cette Generazione 90 n'a pas fini de nous surprendre et nous devons soutenir leur action. Maxi Navi, moto ondoso, pollution atmosphérique et pollution des eaux de la lagune, inconduite des hordes de touristes mal élevés qui consomment la ville et ne respectent rien, commerces de proximité qui ferment, transports en commun submergés par les groupes, prix qui grimpent, impossibilité de se loger... 

Il est loin le temps où les vénitiens résignés partaient s'installer en terraferma. Aujourd'hui les jeunes ne veulent plus partir et nombreux sont les vénitiens exilés à Mestre ou à Marghera qui veulent revenir dans le centre historique. Cela a donné cette impressionnante mobilisation immortalisée par les vénitiens eux-mêmes à qui TraMeZziniMag rend hommage. Qu'ils soient assurés de notre soutien inconditionnel ! 

Un témoignage recueilli sur les réseaux sociaux. ceux qui sont passés par Venise cet été auront remarqué ces banderoles un peu partout dans la ville, partout où des vénitiens de sang ou de cœur, résidents et bien décidés à le rester, vivent et sont prêts à lutter pour la sauvegarde de leur ville !

Foto Veronica Scarpa





Foto Alberto Alberti
Foto Alberto Benvenuti
Foto Aline Cendon
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Anna Bolcato
Foto Anna Bolcato
Foto Cristina Marson La Rossa
Foto Dario Vianello
Foto Federica Travagnin
Foto Gagliardi
Foto Giangelo Bellati
Foto Jessica Torli
Foto Magda Pattarello
Foto Marco Gasparinetti

Foto Paolo Valdisserri
Foto Philippe Apatie
Foto Saveria Befana
Foto Sebastian Fagarazzi

Foto Monica Sambo
Foto Carla Sitran
Foto Flavio Lombardo

Venise se révolte (enfin) contre les touristes


France Inter, dans l'émission Les Histoires du monde de ce jour décline une vision de la Sérénissime tout à fait en accord avec la vision que TraMezziniMag développe depuis sa création en 2005 et qui a longtemps fait grincer des dents au point que le longtemps dynamique Ufficio Stampa de la municipalité (que le maire Brugnaro vient de supprimer pour faire de la communication son domaine réservé) n'avait pas votre serviteur en odeur de sainteté (N'ai-je pas imaginé quelques minutes le soir de la suppression du blog par Google et de la mise aux fers de l'ensemble de mes comptes Google, une punition suscitée par la mairie ? C'était bien prétentieux de ma part. 


Cependant, depuis ma première interview en 2006 ou 2008 pour une radio suisse romande jusqu'aux deux reportages de Détours, je me suis toujours attaché à dénoncer tout ce qui peu à peu minait Venise durablement. Les différents reportages télé ou radio pour lesquels j'ai été sollicité au fil des années cherchaient un angle nouveau... Longtemps j'ai cherché à montrer le problème du logement, la désertion du centre historique, le danger de la libéralisation de  l'immobilier risquant de transformer la ville en dortoir, le départ des grandes entreprises de service, On m'a traité de snob lorsque je dénonçais les hordes de barbares - "Mamma li turchi" pour reprendre le titre d'un ouvrage de Gabriel Matzneff - le danger du tourisme low-cost mal géré... J'insistais sur les dangers de la pollution atmosphérique, les gabegies des équipes en charge de la plus fragile cité du monde, la diminution exponentielle des habitants, leur propre inertie et la part de responsabilité que nous avons tous, touristes, fous de Venise ou simplement de passage. La responsabilité des vénitiens aussi. Les journalistes préféraient montre ce carnaval de pacotille qui attire les gogos et n'a plus rien à voir avec le vrai, celui du temps de la république bien sûr, mais aussi celui, spontané, joyeux, improvisé et authentique des premières années (entre 1980 et 85).



Aujourd'hui, le chaos n'est plus une fiction. L'été ou pendant le carnaval, on n'est pas loin de l'implosion. Fin juillet cette année, le chiffre présumé de la population est descendu en-dessous du seuil des 55.000 habitants... Même après la grande peste, Venise comptait davantage d'habitants. La menace proférée par l'Unesco n'a guère trouvé d'écho chez les édiles qui continuent de se remplir les poches (c'est une image)... Heureusement, des associations se constituent, des groupes agissent là où l'administration hésite ou fait l'autruche. Les jeunes sont déterminés à rester, à revenir, à maintenir les usages et les traditions tout en refusant de devenir les figurants dans une réserve à la Disneyland. Il y a de belles éclaircies et de jolies promesses malgré tout. 

Pour écouter l'émission : ICI 

Grossière erreur ou clin d'oeil dans la Pléiade ?


"Conçu et réalisé spécialement à l'occasion de la Quinzaine de la Pléiade 2015" comme l'indique le dos de son étui, ce joli petit album consacré à Casanova rédigé par Michel Delon à qui l'on doit aussi le bel album Diderot paru en 2004, contient une grossière erreur. Elle l'est tellement que de deux choses l'une, soit la personne chargée des recherches iconographiques a été pressée par le temps lorsqu'il a fallu rédiger les légendes des illustrations ou procéder à la relecture ou les auteurs se sont amusés à faire un pied de nez aux lecteurs comme à Giacomo Casanova, sur le même ton, disons de la même manière que lui-même aurait aimé le faire.

Mais de quoi s'agit-il pour que TraMeZziniMag en fasse ainsi tout un foin ? Non, il ne s'agit pas du récit, alerte, joliment troussé. Tout à fait dans l'esprit du personnage dont il narre et commente la vie. L'iconographie est bien choisie. le volume est élégant comme toujours chez la Pléiade. Et puis soudain, patatras. La page 176 s'ouvre sur la photographie d'une statue de bronze que les vénitiens aiment beaucoup - et les amoureux de Venise. Celle de Carlo Goldoni, réalisée en 1883 par Antonio dal Zotto

Mais que lit-on en légende de cette 156e illustration de l'album ? Vous l'avez deviné : Statue de Casanova, Venise. Rien de plus... Abasourdi devant l'énormité de la méprise, j'ai jeté un coup d’œil sur la Table des illustrations. A la page 211, le numéro 156 reproduit l'erreur : "Statue de Casanova, Venise. © Photo12/Alamy.

Photo12 est une agence française d'archives et d'illustration de dimension européenne qui a pignon sur rue, au propre comme au figuré dont les collections rassemblent plus de 10 millions d'images... Des gens sérieux, une banque de données très complète.  Si on cherche statue de Casanova sur leur catalogue, on ne trouve qu'une vieille photo d'archive représentant un général Casanova qui trônait à Corte. En cherchant des images de Goldoni, on retrouve bien l'illustration de l'album, sous la référence B67G45 provenant du fonds Alamy que l'agence représente. Prise par Peter Forsberg, photographe britannique qui travaille aussi pour le Fonds Getty

Le cliché a coûté un peu moins de 50$ euros à la maison Gallimard et l'envoi des données nécessaires à sa publication comportaient obligatoirement les mentions détaillées de la prise de vue et donc l'appellation exacte du sujet photographié... Un enfant de 10 ans n'aurait pas fait l'erreur. Gageons que Anne Lemaire, responsable éditoriale chez Gallimard (elle participe aussi à la magnifique collection Découvertes) et Claire Balladur celle-la même qui était chargée de la recherche iconographique, étaient troublées par le charme du chevalier de Seingalt et le délice et la qualité du texte de Michel Delon ! Mais quel dommage que l'excellence de cette collection soit ainsi entachée d'une erreur aussi grossière. Mais Casanova comme Goldoni auront déjà pardonné à ces dames ! Nous aussi n'est-ce pas ? Et puis cette erreur fut l'occasion d'un billet estival sur le nouveau blog encore en gestation...

Une pensée pour Baptiste, vénitien de coeur

Mes pensée accompagnent aujourd'hui le jeune Baptiste M. que certains lecteurs de TraMeZziniMag connaissent. Il doit subir une intervention chirurgicale particulièrement lourde. Plein de pensée positives pour vous ami Baptiste et bon rétablissement !

10 août 2016

Récupération du Livre d'Or de Tramezzinimag


C'est un travail de Titan, mais Tramezzinimag 2 va reprendre chacun des articles parus depuis 2005 et l'ensemble du contenu (liens, commentaires, pages et autres documents) que réclament de nombreux lecteurs. Pour commencer, nous avons le plaisir de vous annoncer le retour du Livre d'Or d'origine. Il est accessible en cliquant ICI mais aussi sur la colonne de gauche du blog. N'hésitez-pas à laisser un mot de soutien. Nous nous ferons une joie de twitter chaque message à Google. Pour le moment, le lien qui permet le retour sur ce site est impossible, mais tout sera opérationnel d'ici quelques jours. Work in progress ! Merci pour votre fidélité, votre soutien et votre patience.

02 août 2016

Clin d'oeil vénitien


Un ami vénitien connu quand il était étudiant Erasmus, à Bordeaux - c'était du temps des débuts de la mode du  spritz en France - a une sœur restée en Italie. Récemment, elle lui a envoyé depuis Venise un colis via un de ces courriers privés qui arpentent le monde en des temps records pour livrer les colis, retour à la vraie tradition inventée il y a plusieurs siècles par un noble allemand devenu un prince puissant grâce à ses postes, le prince  de la Tour et Taxis. Mais Tramezzinimag ne  va pas vous conter l'histoire des postes modernes aujourd'hui.

L'anecdote est amusante. Voilà le camion qui livra le paquet vénitien... Vraiment DHL fait bien les choses ! Comme le dit la jeune vénitienne dans son commentaire : «DHL n°1 ! » 
 
Et pourquoi pas une livraison en gondole la prochaine fois, cela ferait de l'effet non ?

29 juillet 2016

L'émotion à Venise : hommage au jeune Filippo....

Rédigé par Lorenzo et publié depuis Overblog




Toute la ville en parle avec émotion, ceux qui l'ont bien connu avec tendresse et le sourire vient très vite après les yeux embués quand ses amis, ses voisins, ses professeurs parlent de lui, quand soudain un souvenir de ce garçon, grand, mince, solaire, facilement repérable quand il arpentait les rues de San Lio où vit sa famille, revient à la mémoire. Il vient d'être enlevé à l'affection des siens, par surprise, injustement, comme chaque fois qu'un accident stupide survient. Pourtant le jeune homme était prudent, pétulant et radieux en permanence mais pas comme un chien fou. Il avait mille projets et s'apprêtait à suivre la voie familiale en devenant architecte. Une chute du haut d'une falaise quelque part en Algarve où il séjournait avec ses amis du Liceo Artistico de Venise. Ils étaient venus là pour admirer un des plus fameux couchers de soleil d'Europe. Il sera parti avec cette lumière dans les yeux. Un de ses plus proches amis à réalisé une petite vidéo. Toute simple. Émouvante. Aussitôt mise en ligne par la maman de Filippo qui souligne combien elle est persuadée qu'il n'est pas dans le noir, mais dans la lumière, cette lumière qu'il avait déjà dans le regard et dans son sourire. 

Je ne connais pas cette famille, sinon par la réputation du père, quelques amis communs sur Facebook, et je ne les rencontrerai certainement jamais. Pourtant, c'est naturellement que j'ai ressenti la nécessité de rendre hommage à ce jeune mort, injustement enlevé à l'affection des siens, fauché avant même que de commencer vraiment sa vie d'homme. Dieu a des plans que nous ne comprenons pas et le papa que je suis tremble à la pensée de ce que les parents de cet enfant peuvent endurer.

Je suis allé tout à l'heure sur le campo Zanipolo. J'avais prévu de rendre visite à mon ami, le Padre Massimo Mancini, le frère dominicain du couvent de Venise avec qui j'aime beaucoup discuter. Il est absent de Venise jusqu'à la semaine prochaine. En passant devant Rosa Salva, j'ai vu la porte de la petite chapelle San Tommaso ouverte et je me suis souvenu de ce qu'on m'avait dit hier : Le catafalque devait y être exposé toute la soirée et demain matin avant les obsèques pour ceux qui souhaiteraient venir lui rendre hommage et prier. J'ai longuement hésité à franchir le porche. J'ai fixé longuement, comme un imbécile cette porte grande ouverte dans ce mur de brique et face au campi, visible par tous, le cercueil blanc couvert de fleurs. 

Pay tribute to someone ne nécessite pas de se montrer en le faisant. Bien au contraire ce me semble. On peu prier partout, le bon dieu nous écoute en tout lieu et ce ne sera pas le nombre de visiteurs qui manquera. La famille ne sera pas seule. J'allais et venais devant Rosa Salv,a ahuri de constater que des touristes voyant une porte ouverte cherchaient à rentrer pour faire une photo... A un moment, un homme grand, aux cheveux grisonnants, vêtu de vert et de kaki est sorti. Il a parlé quelques secondes avec deux jeunes touristes qui devaient demander de quoi il s'agissait. L'homme, posément, a donné des explications suffisantes pour que les jeunes femmes, gênées, s'éloignent sans plus chercher à rentrer dans la chapelle ardente... Il a traversé, conservant le sourire qu'il avait en leur parlant, mais qui semblait maintenant figé sur son visage. Cet homme, je l'ai reconnu aussitôt, c'était Marco Marin le papa de Filippo, qui rejoignait des membres de sa famille installés dans la salle à côté du comptoir de la pâtisserie. Alors, ne pouvant décemment aller voir cet homme pour lui dire mon émotion et combien le père que je suis imagine sa douleur, sachant combien les mots ne soulagent en rien, il s'agissait juste d'être présent, de porter avec discrétion ceux sur qui pèse une pareille souffrance, peut-être la pire que nous puissions endurer : celle de survivre à ses enfants et de devoir continuer à avancer comme si de rien n'était... J'ai franchi d'un pas le plus assuré possible les quelques mètres qui me séparaient de la chapelle sous les yeux d'un touriste français assis sur la terrasse avec ses enfants et dont j'ai croisé le regard. Il semblait avoir compris mon émotion et me fit un signe avec la tête,  vague et bref geste de compassion... 

Face au cercueil de bois blanc qu'on réserve aux purs, à ceux qui partent en pleine jeunesse, aux enfants, j'ai ressenti un incommensurable chagrin et la peine de tous ceux qui veillaient à une certaine distance du catafalque est devenue mienne. J'ai senti le sol se dérobait sous mes pieds, ma tête tournait. Je n'ai eu que le temps de m'incliner, de marmonner dans ma barbe deux mots de la prière qui me vint à l'esprit, de faire un signe de croix et je me suis précipité dehors, comme un imposteur qu'on aurait découvert. N'en étais-je pas un après tout ? M'immiscer ainsi dans le chagrin d'une famille que je ne connais même pas simplement parce que ce deuil me touche ? Je me suis retrouvé assis sur un banc du Giardino dei Gatti, dans l'ospedale où j'aime tant, surtout le soir quand toute la population féline qui loge là fait sa passeggiata, m'asseoir sous le laurier et m'imprégner des bruits et des senteurs du lieu. Heureusement l'appel d'une amie m'a sorti de ma torpeur et à calmé mon émotion. "Venise rend vulnérable les âmes trop sensibles." En tout cas, j'ai ressenti pendant quelques minutes une proximité incompréhensible avec les êtres et les choses et derrière la tristesse du moment vécu, une immense joie. Celle que je souhaite au jeune Pippo dans son éternité. 

28 juillet 2016

Théo, célèbre chat vénitien, client du bar Ai Artisti

Theo vivait dans le sestiere de Dorsoduro dans les années 70-80. C'était un drôle de félin. Indépendant, parfois câlin, souvent joueur mais aussi taciturne à ses heures. Il fréquentait assidument le bar Ai Artisti, sur le campo San Barnaba, un authentique bar de quartier ouvert... en 1897. Le matou avait une particularité : il se mettait à ronronner dès qu'il entendait de la musique baroque . Et on dit que les violons de Vivaldi le mettaient quasiment en transe. C'était une personnalité connue du quartier et appréciée de tous. 

Pendant des années, il y avait cette lithographie de Franco Gelli (*) publiée en 1979 par les Edizioni Ghen, dans le bar qui est resté longtemps un bar de quartier où se retrouvaient chaque jour des habitués. Aujourd'hui rénové, l'établissement a conservé son nom mais le cadre a disparu emportant avec lui le souvenir de Theo. C'est ainsi que s'efface la mémoire des gens. Aucun des serveurs de ce petit estaminet sympathique ne l'a connu ni n'en a même entendu parler. Dommage, c'était quelqu'un ce chat ! Un vrai vénitien !

 

Notes

* Franco Gelli, né en 1930, arrivé à Venise à vingt ans. Étudiant en architecture, il se tourne rapidement vers la peinture sous la direction de Mario De Luigi. Il expose son premier tableau à la Bevilacqua la Masa - années vénitiennes 1950/55. Il rejoint plus tard le mouvement artistique Genetic Art Movement (GHEN), fondé par Francesco Saverio Dòdaro en 1976 et en devient le  numéro deux. Il crée, entre autres œuvres, « Genetic hypothesis of the city, 1984 », qui explore la relation viscérale entre l'art, la vie urbaine et l'évolution sociale des villes. Le portrait de Theo est à inclure dans ce corpus. Il meurt en 1997.


27 juillet 2016

En attendant des nouvelles de Google...

Reproduction d'un billet paru dans le blog de substitution Tramezzinimag.over-blog.com créé en urgence après l'aspiration-disparition soudaine du blog originel. Pour information. 

Chers lecteurs,

Tout d'abord merci d'avoir été aussi nombreux à vous manifester quand la nouvelle s'est répandue de la suppression de Tramezzinimag, l'original, par la plateforme blogger, qui appartient à Google. Tweets, mails, textos, (même un gentil petit mot avec un joli dessin d'un ami vénitien ce matin dans ma boîte aux lettres), messages sur Facebook et diverses propositions de pétition, collecte pour un encart dans la presse ou une action en justice... Avec au passage pas mal de malédictions lancées par certains d'entre vous contre le méchant Goliath qui décide unilatéralement de suspendre un compte sans raison apparente et en tout cas sans s'expliquer ni se justifier.

Mais Tramezzinimag, fort de ses onze ans d'existence, ses plusieurs centaines de milliers de lecteurs depuis sa création, avec une moyenne de 800 personnes chaque jour, ne va se laisser abattre. Certes, si Google ne retrouve pas la raison (mais Google est américain et l'Amérique va bien mal et marche un peu sur la tête alors il ne faut pas trop se faire d'illusion), c'est un trait que je devrais tirer sur plus d'un millier d'articles, des centaines de photographies, des vidéos et des sons dont l'archivage a bien été fait pour l'essentiel... Sur Google en qui j'avais, apparemment à tort, une confiance aveugle !

Alors hauts-les-cœurs, il y a longtemps que j'envisageais la mutation vers Overblog. Profitons de la situation et tirons les marrons du feu : Tramezzinimag ne doit pas, ne peut pas mourir ainsi, sous les coups de l'inculture et de la bêtise modernes que semble vouloir personnaliser Google désormais.

Alors faites passer le message autour de vous : après cet incident inattendu et stupide, Tramezzinimag, encore et toujours Work In Progress, chantier merveilleux et réjouissant à la gloire de Venise, la vraie, pas celle de la quincaillerie grotesque des croisiéristes, de la bimbeloterie genre Disneyland et Las Vegas, est en ligne. Prévenez vos amis, dites-leur bien que le découragement et le dépit n'auront durer que le temps de l'orage minable qui a tonné sur Venise cet après-midi.

Nouveau départ ou hébergement provisoire chez des amis bienveillants ? Chi Lo sa ? Que ceux qui étaient jusqu'à présent régulièrement sur Tramezzinimag « comme on se rend dans une bibliothèque » pour glaner des informations et « respirer cet air unique delà Venise authentique » (jolis propos de lecteurs reçus aujourd'hui parmi tous vos messages de soutien) ne soient pas tristes. Nous aurons gain de cause. Ensemble. Dussé-je me lancer dans une procédure juridique ou ameuter la presse où je ne sais quoi qui puisse faire rendre raison au géant californien qui se moque des petits comme nous, à l'image de cette société libérale malade et agonisante. Parce que c'est de Venise dont il s'agit, de sa survie, de son rôle de laboratoire d'innovation, de son mode de vie unique qu'il nous revient de contribuer à défendre et à protéger !

 

 

A Venise au fil des jours. Journal.

Rédigé par Lorenzo et publié initialement sur Overblog
 

12 juillet 2016.

Délices du petit matin à Venise. La grande majorité des touristes n'est pas levée ou pas encore en train de se répandre dans les rues. Tout est calme. Serein. Les éboueurs passent avec leurs grands chariots, les livreurs vont et viennent. Seul bruit rémanent, le cri des hirondelles qui se mêle à celui des mouettes affamées qui dépècent les sacs d'immondices devant les maisons endormies. Des gens qui se rendent à leur travail, d'autres qui promènent leur chien. Rien que de très banal et qu'on peut observer dans toutes les villes du monde, mais ici, il règne une tranquillité comme à la campagne et pourtant on ne peut pas ne pas avoir la sensation d'être au milieu d'un centre urbain, certes aujourd'hui dépeuplé, mais tout rempli de siècles d'activité humaine.   

J'ai ressenti cela un jour à Pompéi. C'était comme aujourd'hui, par un matin. Tôt. Il y avait peu de monde et je devais été le seul visiteur. Des employés, très jeunes, balayaient le forum, des chiens errants allaient et venaient. Tout était silencieux. Mais d'un silence rempli d'une sorte de ferveur. Soudain je ressentis comme une fièvre. Cette ambiance dans l'air qu'on retrouve partout les jours de foire ou de marché... Seul ou presque dans ces ruines, j'avais l'impression très nette d'être au milieu d'une foule de citadins, de camelots, d'artistes et d'ouvriers. C'était comme si mon esprit traverse le temps et que l'esprit de ceux qui vécurent la venait à sa rencontre. Nulle angoisse, nulle terreur. Il y avait dans l'air les remugles du monde d'avant.  C'est une peu la même chose ici à Venise sauf que l'activité humaine ne s'est jamais interrompue et que tout continue comme autrefois. Les vénitiens, comme leurs ancêtres vaquent aux mêmes occupations dans les mêmes lieux, avec les mêmes contraintes et les mêmes usages. Et puis, ce qui fait la particularité de l'atmosphère ici dans la cité des doges, c'est l'absence de véhicules automobiles. 

Il y a bien le bruit des barques à moteur sur les canaux, mais nulle part ces pétarades qui ailleurs troublent nos sens et que nous ne remarquons plus tant nous y sommes habitués. Nos villes modernes sont envahies depuis longtemps par le bruit. L'absence ici de cette rumeur permanente qui couvre tout autre son est ce qui rend Venise unique, presqu'autant que son architecture, ses trésors d'art et son emplacement au milieu de la lagune. C'est un tout certes, d'autres l'ont dit bien mieux que moi. Mais ce tout unique rend tellement heureux, paisible, serein. Il y a un rythme particulier auquel on s'adapte naturellement et qui rend toute activité joyeuse... 

En plein été, ces matins calmes sont aussi remplis de fraicheur. La marée et le vent qui l'accompagne à refroidi l'air pendant la nuit. Souvent, jusqu'à une ou deux heures du matin, l'air est suffocant. Hier soir, même sur les Fondamente Nove, qui se situent pourtant au nord de la ville et où il fait souvent tes froid avec des vents qui viennent du fond de la lagune et rebondissent vers la façade nord de la ville, il régnait une chaleur étouffante. Puis soudain, avec le changement de marée, une brise lointaine, douce et odorante s'est répandue comme le fait l'air brasse par un ventilateur dans une pièce chauffée par le soleil et tout devint plus doux. 

Et la lumière, cette lumière unique qui danse sur les façades des et jaillit tout autant des reflets sur l'eau que de ceux que renvoient les fenêtres des maisons. Les couleurs des maisons, du jaune pâle à l'ocre le plus sombre, souvent soulignées par le blanc de la pierre d´Istrie qui encadre les ouvertures et décore les balcons, et le vert profond des volets de bois, sont un bonheur pour les yeux. La moindre façade, même la plus lépreuse, la plus insignifiante se donne de beaux airs sous la lumière du matin... 

Le marchand de journaux range son étal en sifflotant. En face, un bengali installe ses colifichets à trois sous qui feront le bonheur des enfants des touristes. Ils ne s'adressent jamais la parole. Le restaurant Acqua Pazza n'ouvre pas le lundi. La terrasse restera vide. Ceux qui travaillent son temps déjà passés. Il est presque neuf heures. Dans quelques minutes, les cloches vont répandre leur humeur joyeuse sur la ville. Un nouveau jour, semblable à tous les autres jours, mais avec davantage de goût que nulle part ailleurs...

Pour moi, une semaine après mon arrivée, c'est aussi un commencement. J'avais décidé de passer la première semaine à dormir; me reposer, me détendre en ne faisant rien de particulier. Ranger et ordonner à mon goût la maison, prendre nos marques Mitsou et moi. Cuisiner aussi - l'un des moyens que j'emploie pour retrouver calme et sérénité mais aussi les kilos perdus avec le stress et la précipitation de ma vie ces derniers mois - écouter de la musique, bouquiner des livres insignifiants ou sérieux... Bref, le farniente complet. Je m'y entends assez bien contrairement à ce que peuvent penser les gens qui me voient toujours actif et sur la brèche. Nos vacances d'avant, les pieds dans l'eau du Bassin d'Arcachon ou à la Moignerie, notre chère maison du Cotentin, commençaient toujours ainsi pour moi : réajuster le décor souvent malmené par des mois d'hivernage et les mains maladroites de ceux qui restaient ; fleurir à nouveau les vases; ranger les livres; aérer et parfumer les pièces; remplir les armoires de provisions glanées au marché ou chez les producteurs du coin. Puis sortir les transats et s'affaler pendant plusieurs jours d'affilée entre les repas, passant joyeusement du lit à la chaise longue dans le jardin et du jardin à la plage.

Quelques jours de ce régime draconien et la pleine forme retrouvée, je pouvais attaquer les inévitables travaux à faire dans la maison? Mais aussi me mettre à écrire et à lire sérieusement. J'avais la chance de pouvoir le plus souvent disposer de quatre à six semaines de vacances, voire huit parfois. À ma discrétion. Une huitaine de jours pour le régime reprise de forme, une bonne semaine de réadaptation aux lieux, puis de deux à quatre semaines de vraies vacances et une dernière semaine pour se faire à l'idée de quitter bientôt un rythme parfaitement heureux et totalement en adéquation avec ma nature profonde. Non pas de la paresse, plutôt de l'authenticité. Être enfin, totalement, soi-même. Au moins une fois l'an. Je sais que certains de mes lecteurs ne comprendront pas, portés par les usages modernes qui nous font considérer qu'on n'existe que dans le vacarme et l'action trépidante... J'en suis bien triste pour eux et souhaite qu'ils puissent un jour expérimenter ce bonheur par eux-mêmes. 

 

Commentaires initialement publiés sur Overblog :

Je suis resté 3 semaines, l'été dernier, et j'adorais partir au petit matin, lorsque la ville dormait encore !
Quand la ville dort (et les hordes de touristes aussi), Venise est splendide. Le silence, l'air, les senteurs, le clapotis de l'eau et le bruit de nos pas sur les masegne... Un bonheur en effet. Ce blog intermédiaire n'est plus actif, si vous ne le faites pas déjà, rejoignez-nous sur blogspot