Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

20 janvier 2008

Les noyés de la piazzetta

On a repêché l'autre jour le cadavre d'un homme flottant dans les eaux du grand canal. Cela ne se produit plus très souvent mais l'évènement a fait jaillir des tas de souvenirs dans l'esprit des vénitiens. Des bons et des mauvais.
 
Saviez-vous qu'autrefois, la République faisait exposer les noyés sur la piazzetta dei leoncini, cette petite place située à côté de la basilique San Marco, devant l'actuel patriarcat (demeure de l'archevêque de Venise). Là, les cadavres repêchés dans les eaux de la lagune étaient exposés sur des brancards afin de permettre aux familles de venir reconnaître parmi les dépouilles gonflées par l'eau de la lagune leurs disparus. C'était devenu une attraction. La nuit, des lanternes éclairaient les catafalques sous la surveillance des soldats qui veillaient à ce que personne ne vienne voler ce que les noyés pouvaient avoir sur eux. Il y eut une période où les brancards remplirent toute la place. C'est que pendant longtemps, il n'y avait pas de parapets. 
 
On pouvait glisser d'un pont ou marcher trop près de la rive. L'eau est froide en hiver et peu de gens autrefois savaient nager. Il y avait aussi les noyades provoquées. Un mari jaloux, un marchand escroqué, un adversaire politique. La méthode fit ses preuves. Pour rentrer chez soi la nuit, puisqu'il n'y avait pas d'éclairage public (ou, quand il y en eut un il n'existait pas dans toutes les rues de la cité et ne fonctionnait qu'aux alentours immédiats de San Marco), les vénitiens utilisaient les services de jeunes gens munis d'une lanterne spéciale que l'on appelait el Codega (les porteurs de lumières furent ainsi baptisés "codegon"). Une loi de 1450 obligeait toute personne circulant dans la ville après trois heures du matin à se munir d'une lumière afin d'être reconnaissable. Il y avait tellement d'agressions. 
 
Comme partout régnait une obscurité absolue parfois allégée par la présence de la lune et, de loin en loin, par les lumignons (les "cesendeli") qui brûlaient devant les petits temples votifs dédiés à la Vierge ou à des saints, il fallut bien trouver des solutions. ce fut El codegà. L'usage de ce service permettait de circuler en conformité avec la loi si on n'avait pas avec soi de lanterne ou de bougie. Comme il n'y avait pas de rambardes ni sur les ponts, ni le long des canaux, il était facile de tromper quelqu'un. Il suffisait que le porteur de lumière accélère et se rendre sur l'autre rive d'un canal par exemple puis attire son client qui pour ne pas le perdre de vue s'engage en direction de la lumière et plouf, le voilà à l'eau. Après une soirée bien arrosée et un trop riche repas, l'eau glacée de la lagune avait la plupart du temps raison de la pauvre victime. Le porteur de lumière éteignait vite sa lanterne et rentrait chez lui, la bourse bien remplie pour son méfait. D'autres fois, suivant le codegà dans des ruelles éloignées, le passant était attendu par des trousse-jarets qui l'assommait ou le transperçait de leur lame effilée et il finissait dans l'eau... On retrouvait nos pauvres victimes le matin sur la piazzetta dei leoncini...

3 commentaires:

Florence a dit…
Ciao Lorenzo,
Je ne connaissais pas l'ancienne "utilisation" de la piazzetta....
Pour ma famille, tous les enfants se sont faits photographiés assis sur un des leoncini de la photo. Tradition!! que j'ai bien sûr appliquée avec plaisir qui j'espère perdura un jour quand je serai nonna.
A presto

Anonyme a dit…
il semble d'après les webcams branchées en permanence sur 5 endroits de Venise que la meilleure semaine pour y aller soit celle-ci = juste avant le carnaval : presqu'aucun touriste! Marie G
Lorenzo a dit…
Effectivement, il faut en profiter. Le temps n'est pas si mauvais et la foule reste absente. Mais c'est hélas un peu comme le calme avant la tempête...

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