28 août 2009

The very Thought of you

C'est le titre d'une très belle chanson de Billie Holiday que j'écoute ce soir, le chat sur les genoux. Il y a encore quelques minutes j'aidais ma fille aînée Margot à faire ses valises. Elle repart demain matin pour Montréal où elle fait ses études. Puis sont arrivés sa tante et nos amis Pierre L. et Carole qui est sa marraine.
 
A la joie de les voir (et de goûter une bouteille de leurs délicieux Sauternes), se mêlait la gêne qui me prend à chaque fois que je me retrouve avec les enfants chez leur mère. Tristesse de devoir vite quitter la bonne ambiance, les amis de toujours et les enfants pour rentrer dans mon petit chez moi bordelais à deux pas de là. Tristesse aussi des enfants qui aiment quand je partage avec eux - et leur mère - des petits moments festifs comme celui de ce soir en l'honneur de ma fille à l'occasion de son départ. Mais impossible de rester. Impossible de vivre avec sérénité ce genre de petits moments aux côtés de leur mère. Trop pesant pour elle et donc pour moi. Trop tôt peut-être...
 
Demain ma fille aînée reprend l'avion pour le Canada. Dans quelques jours l'université rouvrira ses portes. Encore une fois le temps est allé trop vite. Les jeunes ont leur vie et passer du temps en famille avec les parents est souvent pour eux un pensum. Il y a les amis à revoir, les sorties, les balades, les magasins, le cinéma. Difficile de se retrouver en aussi peu de temps. Difficile de trouver le temps pour bavarder et chercher dans ces petits moments des bribes de l'époque où existait entre l'enfant émerveillée par ses découvertes de chaque instant et le père en adoration, une complicité de tous les instants. Puis vint le temps de l'opposition, les conflits de l'adolescence. Difficile et merveilleuse époque où la jeune fille renfermée et un peu butée, peu à peu se transformait en jeune femme brillante et cultivée. 
 
Il y eut ensuite le cataclysme de la séparation, la vente de la grande maison, le désastre dont aucun de nous ne s'est jamais vraiment remis. Tellement de souffrance pour eux tous et particulièrement pour elle dont le monde s'écroulait d'un coup, sans que rien n'ait vraiment pu le laisser présager. L'éloignement qui s'en suivit ne fit que renforcer la nostalgie des temps heureux de l'enfance. Les promenades au jardin, les jeux, le bricolage, les histoires le soir, la prière avant d'aller dormir avec tous les jolis mots d'enfant que j'essayais de garder en mémoire mais qui se sont enfuis au même titre que le temps d'autrefois. Et tout les reste, la culpabilité., le regret de n'avoir rien vu venir, de n'avoir pas prévu d'esquive, de plan B, de parachute pour le coeur blessé de quatre petits innocents qui ne demandaient qu'à continuer leur bonne petite vie d'enfants aimés et protégés dans un monde éclairé de rires et de fêtes... 
 
Puis avec les années, tout s'est cicatrisé même les plus vilaines blessures de l'âme. Le temps des reproches est passé. Vinrent les retrouvailles, mais l'enfant est devenue une femme, avec sa vie à construire et ses choix. Les conversations se sont faites sérieuses et posées, les préoccupations plus généreuses et les enjeux plus grands. Un régal de petits moments de complicité, des discussions, des commentaires de lectures et d'articles qui nous font réagir. D'adulte à adulte. Comme pour rattraper les difficiles moments de silence, quand il y avait l'incompréhension, et cette absence imposée par la situation d'alors qui n'était pas physique puisque nous avons toujours continué à nous voir chaque jour ou presque... 
 
Demain son avion s'envole et je suis un peu triste. Émotion des départs, mélancolie de l'au-revoir... Elle revient certes plusieurs fois dans l'année, mais sa vie est ailleurs maintenant et son avenir aussi. Bordeaux, Venise... tout cela est devenu bien petit pour elle. Et elle me manque déjà. Bien sur son frère et ses sœurs ne partent pas et occupent beaucoup mon temps, bien sur elle est souvent insupportable, capricieuse parfois, exigeante, difficile avec le reste de la fratrie, mais elle est mon aînée. Le premier enfant. Celle qui a déterminé mes choix de vie, mes renoncements, les conquêtes de mon quotidien, depuis ce matin de janvier il y a vingt et un ans, où dans une clinique des hauteurs de Cannes, j'ai entendu son premier cri. Les autres occupent tout autant mon coeur et mon esprit, et je les aime plus que tout, mais plus jeunes ils sont encore très présents - parfois même joyeusement encombrants - et ils ne sont jamais très loin ! Elle, elle part à plus de 6000 kilomètres, la première à s'éloigner aussi loin aussi longtemps, et c'est bien puisque c'est son choix et sa joie, mais combien cela est difficile malgré tout... 
 

12 commentaires:

anita a dit…

quelle immense confiance vous nous faites Lorenzo en vous mettant à nu comme ce soir ... vous me rendez un peu triste parce que renvoyée au déchirement que fut le départ de ma fille pour le Gabon , son premier poste au sein d'un grand groupe international .... divorcée que j'étais de son papa ... quel bonheur actuellement : elle travaille à 40km de chez moi !
Tout s'estompe même ce chagrin qui vous étreint aujourd'hui ...
bonne nuit Lorenzo ! Anita

venetiamicio a dit…

quelle belle lettre d'adieu (pour aujourd'hui seulement) vous venez d'écrire à votre fille, je suis boulversée. Je sais que le chat vous réconfortera mais Billie et surtout cette chanson , que j'adore, je n'en suis pas sûre. A chaque fois que je l'écoute j'ai les larmes au yeux...
Les enfants grandissent, ils occupent notre vie et ils partent un jour, nous avons fait la même chose avant, ainsi vont les choses!
Bonne nuit Lorenzo
Danielle

Anonyme a dit…

Mon fils Laurent est également à Montréal, et malgré l'éloignement, il est celui avec qui nous avons le plus d'échanges et de partages, comme si le fait de nous quitter lui avait permis de mettre de côté sa grande pudeur pour nous ouvrir son coeur. Car en fait, c'est ça, le dur "métier" de parents : permettre à ses enfants d'être eux-même et les découvrir en adultes amis. L'amour filial est indélébile, mais c'est beau de se dire qu'on peut s'aimer aussi pour d'autres raisons. Merci pour votre sincérité, Lorenzo. Bien amicalement. Gabriella

Michelaise a dit…

Votre billet pourrait être le nôtre, ceux de tant de parents qui voient s'envoler leurs enfants adultes, même sans déchirure, même avec déchirures, peu importe finalement... ce qui est difficile c'est cette vie qui nous fut dédiée qui soudain, enfin plutôt peu à peu, se détache et se construit ailleurs... ce qui est important c'est de savoir le dire, comme vous le faites, avec confiance. Belle leçon de paternité Lorenzo...

Michelaise a dit…

Une anecdote : je me creusais la tête car je pensais à une histoire de père, dont la fille s'appelle, je crois bien Margot, et vit aux Etats Unis ou quelque chose dans ce genre, et qui cultive la tradition, avant chacun de ses (re)départs de s'offrir avec elle, en tête, en intimité retrouvée, une balade au phare de Cordouan. Je me disais "est-ce Lorenzo qui a raconté cela dans son blog, ou l'ai-je lu quelque part ?"... quand soudain cela m'est revenu : c'était dans Noces d'Or à Yquem de JP Alaux et N. Balen, un policier savoureux même si ce n'est pas un chef d'oeuvre de littérature, mais qui est plein d'images évocatrices pour ceux de la région... et le héros, un certain Benjamin Cooker, oenologue comme de juste, vit cette tradition avec sa fille... je n'ai pas le livre, étant une adepte de la bibli pour éviter de périr étouffée sous les bouqins (ce que d'ailleurs je n'évite pas !) et ne peux donc vérifier si la fille se prénomme en effet Margot !

Anne a dit…

La belle chanson que vous citez a été reprise avec talent par Nathalie Cole qui possède une voix sublime.
Votre texte est très émouvant.
Anne

Venise86 a dit…

Merci pour votre confiance et toute cette richesse partagée. Je regarde mes deux fils construire leur vie comme je les regardais enfants, faire leurs premiers pas, avec émotion, crainte et amour, en sachant que les chutes sont nécessaires et inévitables et que les victoires sont triomphantes... Je sais seulement que jusqu'au bout, malgré tout éloignement, et parfois les silences, nous restons jusqu'au bout uniques, leurs mère et père, leur ultime recours, tant que nous le pouvons, si un jour ils se retrouvent nus et démunis comme au jour de leur naissance.
C'est l'amour inconditionnel que je leur porte.
Nous les retrouvons et ils partagent cela avec nous , quand ils sont parents à leur tour...

Venise86 a dit…

Pour le reste, le divorce, c'est encore pour moi, un regret, une blessure toujours ouverte... Vous exprimez tout cela...

Venise86 a dit…

Et, quand je me surprends à penser qu'ils m'oublient en vivant leur vie, je me gronde en m'interdisant de devenir une vieille chouette dessêchée qui compte sur sa descendance pour enrichir et occuper sa vie !! Pirouette bien sûr, mais rire de soi n'est ce pas l'élégance du coeur ? Bonne nuit Lorenzo

pienadigrazzia a dit…

"telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d'inoubliables chagrins". C'est à ces mots de Pagnol que je pense instantanément en lisant votre billet, Lorenzo. J'ai découvert votre blog il y a quelques semaines et depuis, vous lire m'est devenu nécessaire. Votre humanité est un très beau cadeau. Ne cessez jamais d'espérer.

Enitram a dit…

Que d'émotion!!!!!!!! Ce n'est pas facile d'être parent et ça ne s'apprend pas...

Lorenzo a dit…

"vieille chouette", cela me fait penser à cette belle chanson de la chanteuse québécoise Linda Lemay qui narre avec humour la naissance de sa fille.
Non, en effet être parent ne s'apprend pas, cela se découvre. A tâtons.
Et comme vous le dites toutes, quelle joie, quelle émotion, quelle douleur aussi parfois. C'est moi qui doit vous remercier pour vous associer aussi promptement et avec autant de profondeur et de délicatesse à ce petit moment de faiblesse que tous peu ou prou nous vivons un jour ou l'autre !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires :