Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

19 août 2009

Mario Berta Battiloro, de l'or dans le risotto

Le nom de Mario Berta Battiloro ne dit pas grand chose à la plupart d'entre nous. Pourtant cette entreprise qui existe depuis 1926, est connue dans le monde entier et la matière qu'elle travaille reste l'une des choses les plus recherchées sur toute la planète.
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Ses artisans sont appelés à Venise les Batifogia, ce sont les derniers batteurs d'or. Ils fournissent les plus grands orfèvres et nombre des dorures restaurées de la Sérénissime et d'ailleurs dans le monde (Notre Dame de Lourdes par exemple), l'ont été avec les fines feuilles d'or sorties de leurs ateliers. Leur corporation comptait à la chute de la République plus d'une cinquantaine de maîtres-batteurs, et près de deux cents apprentis et ouvriers qualifiés. Comme tous les métiers traditionnels de la Sérénissime, les batteurs d'or se raréfièrent avec le temps. Il n'en reste qu'un aujourd'hui, célèbre dans le monde entier :  La Ditta (l'entreprise) Mario Berta Battiloro, installée depuis 1926 dans le palais qui fut la demeure du Titien, à Cannaregio.

Il existe sur le grand canal un curieux petit bâtiment qui semble servir de dépendance à l'église San Stae (diminutif de Saint Eustache). La façade rococo, ronde et sucrée à souhait, faisait dire à mon fils quand il était petit, que c'était une maison en sucre d'orge. C'était autrefois le siège de la confrérie des batteurs d'or, la «scuola minore dei batifogi» ou «battiloro».
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Installée depuis le Moyen-âge à San Lio, la scuola s'installa dans ce bâtiment au début du XVIIIe siècle. Scuola minore, elle n'a jamais eu le retentissement culturel des grands établissements couvertes des chefs-d'oeuvre des plus grands maîtres de la peinture vénitienne. Ce fut cependant une confrérie puissante et dynamique, qui dépendait directement des plus hautes autorités de l'Etat. pensez-donc, on y travaillait l'or, matière fondamentale pour la bonne marche de la république et de la majorité du monde d'alors.
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Cette scuola regroupait tous les batteurs et les tireurs d'or. On y enseignait aux jeunes apprentis le battage de l'or et de l'argent réduits en fils et en feuilles très fines. Les saints patrons de la scuola étaient Saint Quiricio, Sainte Judith, et Saint Josephat. Dans le recensement de 1773, il ne restait plus que 32 batteurs avec 9 ateliers. La scuola était contrôlée par le tribunal des Giustizie Vecchie et par les provveditori della Giustizia vecchia, tandis que les Provveditori di Comun réglementaient le travail et les finances de la corporation. La Milice de la Mer régissait les différentes taxes fiscales. Avec l'arrivée de Napoléon puis la domination autrichienne, cette activité s'éteignit peu à peu et au milieu du XIXe siècle, dans les rues où se retrouvaient regroupés les ateliers des batifogi, le bruit des marteaux martelant le métal, avait définitivement disparu. Jusqu'en 1926, temps de la Renaissance d'une des plus anciennes activités de l'artisanat vénitien.
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Cet art est plusieurs fois millénaire, puisque les procédés sont quasiment les mêmes que dans l'Antiquité et que l'usage du battage de l'or est arrivé à Venise avec des artisans byzantins au tout début du moyen-âge, l'empire romain d'Orient était encore debout. Pas de machine, pas de procédés mécaniques ou chimiques qu'on devrait aux progrès des techniques modernes. L'or est battu à main d'homme pendant des heures jusqu'à obtenir ces feuilles tellement fines qu'un geste trop vif en fait des lambeaux qui s'envoleraient presque. Les produits de Mario Berta Battiloro sont connus dans le monde entier pour leurs caractéristiques uniques et la fascination que tout visiteur ressent devant la méthode millénaire du batifogi
 
Mais, même en participant à des restaurations d'envergure (Lourdes, Venise, etc...), même en fournissant les doreurs du monde entier et notamment des pays du Moyen-Orient, les temps sont difficiles et l'entreprise souffre comme beaucoup de sociétés d'artisanat d'art. On trouve des feuilles d'or - voire de cuivre doré - qui coûtent moins cher, car battues rapidement par des machines avec de l'or de moins bonne qualité... Alors les responsables cherchent de nouveaux débouchés, ce que Sabrina Berta, actuelle directrice et fille du fondateur, appelle "la recherche de nouvelles frontières". C'est ainsi qu'il est proposé aux pâtissiers et aux cuisiniers d'utiliser des feuilles d'or pour leurs produits alimentaires. on trouve ainsi de l'or dans le risotto, dans les chocolats, dans de nombreux plats auxquels le métal jaune apporte raffinement et surprise.
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Mais la concurrence est rude et le travail long et pénible. Les feuilles d'or, entièrement fabriquées à la main sont choisies par des maîtres-verriers pour leurs créations ou pour la restauration de vitraux, par des créateurs de luminaire, des calligraphes, des orfèvres, des couturiers. A Venise, c'est cette maison qui a fourni l'or nécessaire à la restauration de l'ange du Campanile de San Marco et la dorure des lampes de la basilique San Marco. L'or alimentaire est une de leurs trouvailles.

5 commentaires:

Les Idées Heureuses a dit…

J'ai oublié d'ajouter que votre reportage est passionnant. Il est à regretter que tous ces savoir-faire, ces apprentissages transmis tout au long des temps , ces métiers d'art sont amenés à disparaitre, tout cela pour des raisons uniquement d'argent, de rendement, de revenus.
Le système se mord la queue, et il sera sans doute trop tard pour renverser la vapeur si on ne se bouge pas. Souhaitons que nos artistes en tout genre, si précieux, puissent relever la tête pour le plus grand bonheur de nous tous.

Les Idées Heureuses a dit…

Le premier message a disparu, ce qui rend le second un peu "strange". Qu'en était-il?
Les petits carnets ont une dizaine de feuilles d'or, le format étant de 10x10. Le geste est délicat, il faut souvent utiliser le souffle pour les décoller du support, beaucoup d'adresse, de précision.
La Porte- Fausse dans le Vieux Nice a été restaurée sur un projet artistique de Sarkis: marbres de Carrare, avec des veines superbes, et le plafond recouvert de 14000 feuilles d'or.Maitre d'œuvre le petit frère!
Je mets quelques images dans les Idées, si cela vous intéresse.

Lorenzo a dit…

Beau métier en vérité.
"Battre" de l'or, pour le soumettre aux volontés de l'art, mais aussi pour le punir de rendre les hommes aussi avides. Voilà un jeu de mot facile, pardonnez-moi.

Anne a dit…

Merci pour cette passionnante publication. Nous souhaitons tous que ces traditions artisanales ne se perdent pas. C'est bien plus qu'un simple travail, c'est une philosophie.
Anne

VenetiaMicio a dit…

Je suis passée de nombreuses fois devant la maison "sucre d'orge", je pensais que c'était un petit musée ou une galerie d'anquités, surtout qu'il y a de temps en temps de belles expositions dans l'Eglise S.Stae. Je me souviens avoir vu des sculptures de Camille Claudel et de Renoir...mais je m'éloigne du sujet. Je souhaite que tous ces beaux et nobles métiers d'artistes puissent se transmettre encore longtemps