Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

07 novembre 2010

Le matin nous allions tous les quatre le cabas à la main...

« Le matin nous allions tous les quatre le cabas à la main, acheter des calmars au marché du Rialto, où nager dans un bain populaire des Zattere – le soir, revenant du centre par l'étroite calli qui mène du Grand Canal vers notre quartier de Dorsoduro, nous entendions tout contre notre joue, au long des fenêtres des petites maisons basses, la respiration des dormeurs : à Venise, où le mur de la vie privée est à peine le rideau de perles qui tient lieu de porte dans le Midi, on circule non dans des rues, mais dans des couloirs de maisons, et du matin au soir c'était pour nous Goldoni bien plus que Barrès : le charme de cette ville morte, c'est avant tout pour moi qu'elle vive encore comme aucune, tous les petits bruits de cette vie menue et attachante, hollandaise : un pas sur les dalles, un seau qu'on remplit, une persienne retombée, une conversation qui monte derrière un pan de mur, prenant sur le fond du silence une résonance et une signification de théâtre. Et jamais le soleil ne fut aussi frais et aussi jaune, aussi ancien et aussi jeune que ce septembre-là sur les Zattere, par où nous prenions presque toujours en sortant de la maison, et qui sont bien pour moi le quai le plus tentant qui soit au monde. C'est ainsi qu'il faut habiter cette ville naïve et merveilleuse : quel charme le soir d'y rentrer non à l'hôtel, mais à la maison ! »

Julien Gracq écrivit ce beau texte, paru dans Lettrines, à l'occasion de son unique séjour à Venise, en 1959, chez son ami le poète André Pieyre de Mandiargues, qui habitait derrière San Trovaso, dans cette jolie maison embellie par un des plus jolis jardins secrets de toute la ville, en face du palazzo Clari, notre consulat général. Il ne retourna en Italie qu'en 1976, et presque à reculons. 
 
L'auteur du Rivage des Syrtes craignait plus que tout de se retrouver au milieu de ces « touristes » qu’il avait toujours dénoncés comme une plaie de notre époque (déjà en 1959 !). Comme il l'écrit dans ce texte, le fait de découvrir la ville en y vivant à la manière des vénitiens lui permit de se sentir à l'aise, puis conquis par l'atmosphère unique de la Sérénissime. Les lecteurs de Tramezzinimag savent combien il a raison. Vivre à Venise comme les vénitiens. L'Unesco oublie d'inscrire cela dans ses règles qu'il faudrait imposer aux visiteurs ! Les anglais le savent qui disent « When in Rome, do as the Romans do ! »
 
 Julien Gracq
 Lettrines I
 Ed. José Corti, 1967
 256 pages.


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4 commentaires:

Michelaise a dit…

Justement, c'est exactement cela qu'on cherche à Venise, "le cabas à la main !!"

VenetiaMicio a dit…

La Venise que vous aimez et que vous avez connue, celle que j'ai pu découvrir, il y a 30 ans...

Anonyme a dit…

Venise 86 :
Ma vie est ailleurs, et autrement en ce moment, mais ciel, que Venise me manque, cette Venise là, dont vous nous parlez, avec ce chez moi que j'ai rêvé pouvoir y trouver et qui, pour l'instant, est remplacé par un nouveau chez moi en ce marais poitevin que l'on nomme Venise verte. Une consolation diraient certains, une ironie du sort pour moi qui constate que les lieux que nous aimons ne s'accordent pas souvent avec les êtres que nous chérissons tendrement. J'ai choisi de consacrer les années à venir à ceux que j'aime, aux miens, à mes tripes, abandonnant ainsi Venise, la réduisant à une destination de vacances.... Venise n'est peut-être que le refuge des solitaires émerveillés, brulés à ses splendeurs,et protégés par elles.
Venise reste mon rêve intérieur, l'indicible, le non partageable avec le commun des rencontres quotidiennes, ma merveille, là où j'ai envie de conduire ou d'envoyer ceux que j'aime pour qu'à travers elle ils me rencontrent un peu, réellement, là où les mots sont impuissants à dire. Venise me manque, tout simplement, depuis trop longtemps !

Anonyme a dit…

Venise en novembre, quelle merveille, les enfants jouent ds les rues, tapent sur les casseroles pour la san martino, je reprens l'avion pour paris ce soir, trista, mais tellement rechargée de cette ville, ses murs, ses pierres, son eau, son silence, sa beauté sublime

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