C'était dimanche dernier la fête des Rameaux. Belle messe au couvent des Dominicains. Longue procession sous un soleil ardent. Beaucoup d'enfants et de jeunes. Une impression de profonde sérénité. Joie d'entendre ce beau choral de Johan Sebastian Bach. La fin du Carême et le début de la La Semaine Sainte. Le rideau s'entrouvre sur la joie de Pâques. Le triduum pascal. Mais avant de fêter la résurrection du Christ, il y a le temps de la Passion.
La tradition à Venise veut que l'on accomplisse, l'après-midi du vendredi saint une visite aux sept sépulcres. La foule des fidèles vient se recueillir devant les sépulcres éclairés par une forêt de cierges et ornés de gigantesques gerbes de fleurs dressées en forme de croix posées sur le marbre des sept églises, dans un nuage d'encens : les Frari, Sta Maria Mater Domini, S. Giovanni Crisostomo, Sto Stefano et San Barnaba. Le célèbre roman de Pasinetti, Rouge vénitien, s'ouvre sur une description de cette habitude partiellement tombée en désuétude aujourd'hui à Venise, mais encore suivie dans certaines régions d'Italie. Ce souvenir me fait penser à une église que peu de gens connaissent - bien que tout le monde passe devant sa façade aux Mercerie, à deux pas de la Piazza et qui est pourtant un des lieux de culte les plus intéressants de Venise et ce pour plusieurs raisons : l'église San Salvador (l'église du Saint Sauveur).
Venez-donc la visiter avec TraMeZziniMag.
L'église remonte au début du VII° siècle. Entièrement reconstruite au Moyen-Age, restructurée à la Renaissance, elle constitue l'exemple le plus abouti de cette période à Venise. La façade, reconstruite au XVII° siècle, est due à Bernardo Falcone. Elle remplace la façade romane à portique qui était couverte de mosaïques dont on dit qu'elle abrita le pape Alexandre III qui s'y reposa.
L'église renferme des trésors peu vus des touristes. Les cendres de Saint Théodore, premier patron protecteur de la ville, se trouvent dans l'abside droite. Sur le maître-autel se dresse un superbe retable d'argent, ciselé par des orfèvres vénitiens en 1290, et que l'on dévoile aux fidèles à l'occasion de certaines fêtes, notamment pour le 15 août. Les quatre évangélistes entourent le donateur dont on ne sait rien, la scène de la Transfiguration est entourée de dix saints dans des petites niches, puis, dans la partie la plus abîmée, la vierge trône entre deux anges. C'est un très beau travail. Au-dessus de l'autel, la Transfiguration du Titien. Très belle œuvre réalisée en même temps que l'Annonciation, haute de quatre mètres, transcription d'une vision où l'Archange Gabriel fait sa révélation à la Vierge dans une grande nuée d'angelots.
On trouve aussi dans l'église de très beaux monuments funéraires dont une très belle réalisation de Sansovino, (sépulture du Doge Francesco Venier). Des marbres de plusieurs couleurs en accentuent la préciosité. La tribune de la cantoria édifiée en 1530, est aussi de lui. Les statues dans les niches sont dues à des disciples du grand maître : le saint Laurent est de Jacopo Colonna et le saint Jérôme de Danese Cattaneo. Les frères Lorenzo et Girolamo Priuli (tous deux doges à l'époque de la guerre avec les turcs), les ont fait édifier en l'honneur de leur saint-patron respectif. On trouve aussi dans cette église la sépulture de Caterina Cornaro, Reine de Chypre.
Les amateurs de musique ancienne pourront admirer à loisir le grand orgue, dû au maestro allemand Ahrend Jürgen, l'un des plus grands facteurs d'orgue contemporains qui possède à son actif la restauration comme la création de certains des plus beaux instruments de par le monde (pour la petite histoire, c'est lui qui a construit l'orgue de Taizé en 1974, à la demande de Frère Robert et de Frère Roger. Retraité depuis 2005, c'est son fils Hendrik qui a repris l'entreprise paternelle et qui a mené à bien la construction conçue par son père, en étroite collaboration avec l'actuel titulaire, Francesco Zanin.
L'instrument a pris place en haut de la cantoria, tribune réservée aux musiciens et chanteurs qui a été entièrement restaurée et a ainsi dévoilé des trésors que des siècles de crasse et d'usure avaient camouflés. Il a été conçu en partant des relevés qui ont été faits sur l'ancienne caisse. Les éléments d'origine qui ont pu être conservés constituent l'encadrement du nouvel instrument. Les matériaux utilisés ont été choisis pour correspondre le mieux possible à l'esprit de l'orgue d'origine : bois de noyer, de cèdre et de sapin, tuyaux en plomb et en étain. Cela donne un ensemble de très grande qualité esthétique. "Du neuf dans de l'ancien", selon les vœux de la direction des affaires culturelles, formule qui s'applique aussi à l'impeccable insertion acoustique du nouvel instrument dans l'église.
Venise possède désormais un instrument de grande tenue qui permet d'exécuter dans des conditions qu'on peut imaginer proches du rendu originel, la vaste littérature de l'école vénitienne de la Renaissance. Pour ceux que cela intéresse, on peut voir dans la sacristie les éléments conservés de l'ancien instrument trop incomplet pour être restauré en l'état. Parmi les célèbres organistes qui furent titulaires de cet orgue, il faut citer le compositeur Francesco Usper, contemporain de Monteverdi avec qui il travailla à San Marco.
La paroisse animée depuis quelques années par son curé, Don Natalino Bonazza, est très dynamique. Le site du secteur paroissial, très complet, en est la preuve. La vidéo ci-dessous en est extraite :
L'église a été fondée au VIIe siècle sur une légende : Le Christ serait apparu en songe à l'évêque Saint Magne pour lui indiquer le lieu - au centre de la future ville de Venise - où ériger une église qui Lui serait consacrée, Jésus Sauveur du monde. Au XIIe siècle, un couvent est ajouté à l'église romane qui à partir de ce moment va connaître de nombreuses modifications et ajouts. En 1506, le prieur de la communauté des Augustins, Antonio Contarini décide d'une reconstruction complète de l'édifice. Église, couvent et bâtiments adjacents sont démolis. La première tranche des travaux fut dirigée par Giorgio Spavento qui mourra en 1508 et sera remplacé par les frères Tullio et Pietro Lombardo auxquels succèdera Jacopo Sansovino. On possède des archives qui donnent avec précision l'avancée des travaux : en 1520 l'abside était achevée, en 1530 c'est au tour de la cantoria dont les récents restaurations ont permis la mise à jour de sculptures et d'inscriptions jusque là ignorées.
En 1532, la porte latérale qui ouvre sur les Mercerie a été inaugurée et en 1534 c'est au tour du maître-autel sur lequel est posé en grande pompe la statue du Sauveur. Il fallut attendre presque 130 ans pour que la façade soit achevée ! Inaugurée en 1663, elle est l'œuvre de Giuseppe Sardi. Le campanile date du XIVe siècle mais ne fut achevé qu'à la fin du XIXe pendant l'occupation autrichienne, avec les deniers de l'archiduc Salvator d'Autriche, grand ami de Venise.
A côté de l'église se dresse la Scuola di san Todoro. Un riche marchand, Jacopo Galli offrit 30.000 ducats d'or pour la réalisation de sa façade, baroquerie flamboyante qui n'est pas du meilleur effet et passa longtemps pour un exemple de la décadence architecturale de cette fin du XVIIe siècle - la querelle des anciens et des modernes faisait rage déjà - surtout quand on considère le peu de recul qu'on a pour prendre la mesure de cette pesante façade érigée d'après les dessins de Giuseppe Sardi (à qui l'on doit notamment l'église San Lazzaro dei Mendicanti, près de San Giovanni e Paolo) surmontée de statues réalisées par Bernardo Falcon.
Non loin de là, en prenant la calle Lovo, on arrive au petit ponte Lovo d'où on a un point de vue superbe sur la campanile de San Marco (avis aux amateurs de photos). Ce nom est une déformation du mot lupo (loup) qui était celui d'une riche famille installée dans le quartier. On trouve d'ailleurs leur blason sur une stèle dans la nef de l'église qui marque certainement d'après l'historien vénitien Tassini, la tombe des frères Matteo, Marco et Michele Lovo.
TraMeZziniMag vous recommande l'opuscule écrit en 2007 à l'occasion du 500e anniversaire de l'église qui est en vente à l'accueil et à la librairie Filippi :
La chiesa di San Salvador a Venezia.
Storia Arte Teologia,
par Gianmario Guidarelli,
Il Prato - Marcianum Press, Padova - Venezia
2009, pp. 192.
faivre tomasini a dit…
RépondreSupprimerJe viens de découvrir votre blog extraordinaire. Nous sommes des amoureux fous de Venise. Nous y allons deux fois par an et voudrions y aller plus encore. Nous y étions il y a huit jours et avons visité San Salvador. Nous avons aussi découvert les deux cloîtres à proximité, près des Telecom. Endroit désert et magique. Je mets dès à présent un lien sur mon propre blog car je n'ai jamais encore rencontré d'informations aussi précieuses sur Venise...
Merci
25 avril, 2011
Lorenzo a dit…
RépondreSupprimerMerci, Tramezzinimag vous rend la politesse mais ce n'est pas qu'une politesse !
26 avril, 2011