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(billet paru le 13/09/2013)
(billet paru le 13/09/2013)
Le 15 Septembre 1913, Franz Kafka est à Venise. Il loge à l'hôtel Sandwirth, dont les fenêtres donnent sur le Grand canal. La journée a été chaude, belle. Le jeune homme écrit à son aimée, Felice Bauer. C'était il y a exactement cent ans aujourd'hui. L'hôtel où il descendit, devenu le Gabrielli-Sandwirth fête cet anniversaire. Ce n'est qu'une simple lettre parmi les deux cents qu'il écrivit à la jeune femme, mais elle a été rédigée sur le papier à lettres de l'hôtel qui n'a pas changé depuis. Toute une histoire.
"Se marier, fonder une famille, accepter tous les enfants qui arrivent, les soutenir dans le monde incertain et même les guider un peu, c'est, j'en suis persuadé, la tâche la plus élevée qui puisse réussir à un homme."
..Lui vit à Prague, la jeune femme à Berlin. Une correspondance abondante s'engage alors. Au début tout flotte dans l'indécision. Felice hésite. Le caractère de Franz lui semble trop singulier. elle le pense inapte à la vie de tous les jours. Elle aimerait ne plus avoir de rapports avec ce garçon tellement imprévisible. Lui, quand il prend la mesure des réticences de son aimée, redouble d'effort pour la persuader de l'épouser. Ils vont ainsi se rapprocher, s'éloigner, se fiancer, rompre, se retrouver...
"Ma vie a quelque chose de l’asile d’aliénés… Je suis enfermé non pas dans une cellule mais dans cette ville… J’implore la plus chère des jeunes filles… Mais en fait je n’implore que les murs et le papier."
..Kafka adresse une première lettre à Felice Bauer quelques jours après leur rencontre. Cette lettre aura un double effet immédiat pour son auteur. En une nuit, et en plein état d’exaltation, Kafka écrit Le Verdict, texte considéré comme inaugural de sa vocation d’écrivain.
..Cette première lettre à Felice marquera l’interruption de son Journal, qu'il ne reprendra qu’en février 1913. Dans les lettres qu'il écrit à la jeune femme, on découvre un Franz Kafka levant le voile sur ses sentiments les plus intimes. On y trouve des considérations sur l'écriture comme sa lettre du 20 décembre 1912 :
"Je sens que lorsque je n’écris pas, une main inflexible me repousse hors de la vie".
Il est perpétuellement en proie à des désirs opposés, balancé entre le désir de l'épouser, parce que cela correspond à son devoir de fils et de juif, que le mariage pourrait l'installer dans la vie sociale, et la conviction que cette union sera sa chute et formera un obstacle terrible à sa liberté d'écrire. Mais lorsqu'elle ne lui écrit pas, il est malheureux. Lorsqu'elle lui écrit, il est saisi de doute... Il se demande comment il pourra organiser sa vie avec cette femme. Lourd dilemme :
"Il est même improbable que je m'entende à vivre avec quelqu'un, mais je suis incapable de supporter seul l'assaut de ma propre vie, l'offensive du temps et de l'âge, les timides incitations à écrire, les insomnies, l'imminence de la folie - tout cela je ne puis le supporter seul. Peut-être, ajouterai-je naturellement, l'union avec Felice donnera à mon existence davantage de force pour résister."
Mais un peu plus loin il avoue sa peur de se lier, de se perdre dans un autre être, car il ne serait plus jamais seul et il sait qu'il a besoin de la solitude pour écrire.
"Devant mes sœurs j'ai été souvent, surtout par le passé, un homme tout autre que devant les gens. Hardi, aventureux, puissant, étonnant, ému, comme je ne le suis d'ordinaire qu'en écrivant. Si grâce à ma femme je pouvais être tel devant tous ! Mais ne serait-ce pas autant de pris sur mon art ? Tout, mais pas cela, pas cela ! Seul, je pourrais peut-être un jour abandonner vraiment mon poste. Marié, je ne le pourrai jamais."
..Finalement, le 12 août 1913, Franz envoie la première lettre de rupture à la jeune femme. Elle lui répond par trois lettres successives qui le font changer d'avis. Le 18 août il annonce à son ami Brod qu'il a demandé la main de Felice. Une nouvelle crise éclate l'année suivante, en 1914. Felice ne veut plus entendre parler de lui. Il notera dans ses carnets :
"S'il était possible d'aller à Berlin, d'être son maître, de vivre au jour le jour, en mourant de faim aussi, mais en donnant libre cours à mes forces, au lieu de lésiner ici ou plutôt de dévier vers le néant. Si Felice le voulait, si elle venait à mon secours."
"Ce fut la seule fois que je l'aie vu pleurer, écrira Max Brod, je n'oublierai jamais cette scène, l'une des plus émouvantes qu'il m'ait été donnée à vivre."
..Le combat entre le besoin d'amour et la peur de l'amour est fini, mais c'est la littérature qui gagne. Ce sera elle qui sera désormais la véritable maîtresse de l'écrivain et ne cédera sa place privilégiée dans son existence qu'à la Mort... Finalement, la rencontre avec Felice Bauer aura libérée toute la puissance créatrice de Kafka. Nous lui devons de magnifiques lettres.
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