Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

14 juin 2008

Venezia non è un albergo

Une nouvelle pétition circule en ce moment à Venise et sur le net. Il s'agit d'obtenir des garanties face aux nouvelles mesures qui libéraliseraient totalement l'usage et la destination de l'habitat du centre historique risquant de transformer ce qui reste du tissu urbain dévolu aux vénitiens en un gigantesque parc immobilier exclusivement à usage touristique. Vous pouvez signer la pétition de la même manière que celle consacrée au maintien de la maternité dans le centre historique, en vous rendant sur le site de notre association, 40 x Venezia ("quarantenni per venezia", qui peut se traduire par "les quadras pour Venise"). Voici un résumé rapide du texte de la pétition :
 
 
L'Observatoire de l'habitat de la commune annonçait récemment que plus d'un millier de logements de centre historique ont été transformés à usage touristique. Le pire est à venir. Une nouvelle mesure baptisée “Nuova disciplina regionale in materia di turismo” (nouvelle discipline régionale en matière de tourisme), ce qui pourrait être le coup mortel qui pourrait transformer par voie légale la ville de Venise en une cité-auberge. 
 
Le texte actuellement en discussion à l'Assemblée Régionale, sur proposition d'un ancien assesseur, Luca Zaia, comporte trois innovations terribles pour le centre historique : son article 131 pose les fondements d'une nouvelle typologie de structure urbaine dénommée la “dimora ospitale di Venezia” (la demeure hospitalière de Venise), qui avec la seule obligation d'une décoration de style traditionnel ou d'un mobilier d'époque, libéralise sans aucune limite l'ouverture de "grandes surfaces de la chambre meublée", offrant la possibilité aux propriétaires d'aller jusqu'à 18 chambres ! Le résultat : la dérégulation excessive et incontrôlée du marché des auberges clandestines.
 
L'article 132, en revanche, permettra à n'importe quel hôtel d'ouvrir une dépendance n'importe où dans le même quartier. N'importe quel appartement, quelle maison, quelle dépendance d'immeuble pourra devenir une annexe de l'hôtel, sans limitation de superficie ni de nombre de chambres. L'article 46 au paragraphe 3 répète l'erreur grave qui consiste à considérer comme "résidences" les activités d'accueil des loueurs de chambres meublées. Cette idée a déjà causé depuis cinq ans d'énormes dégâts puisque les transformations d'une grande partie du patrimoine immobilier en meublés pour touristes, sans aucune possibilité de contrôle efficace de l'administration qui est seule habilitée à autoriser les transformations d'usage des locaux de la cité des doges. Il est évident que ces articles, s'ils venaient à être approuvés, étoufferaient totalement l'habitat du centre historique, en réduisant définitivement les possibilités de logement pour les vénitiens et leurs familles au profit d'intérêts privés. 
 
C'est pourquoi les membres de 40xVenezia, qui veulent vivre dans une ville et pas dans une auberge, s'opposent à la spéculation outrancière qui se prépare et demandent l'abrogation des articles cités, réclament la mise en place d'un contrôle fiscal et juridique des activités hôtelières et para-hôtelières à Venise, réclament que soit portée toute l'attention et la réflexion des autorités sur le maintien et la protection du tissu social urbain déjà fragilisé depuis de nombreuses années et exigent le blocage pur et simple des demandes d'autorisation de changement de destination des biens immobiliers qui pourraient être déposés, et enfin demandent que les modifications déjà prévues des biens immobiliers publics le soient dans l'intérêt commun en y installant des crèches, écoles, maisons de quartier, résidences pour personnes âgées, parkings, espaces verts, etc...) comme le prévoient les lois en vigueur en la matière. 
 
Voilà en résumé le texte de la pétition que je vous invite à signer : Venezia non è un albergo 

7 commentaires:

Maité a dit…

Je viens de signer la pétition. Comment se fait-il qu'il y ait aussi tant de boutiques, bars, cyber-espace, etc... tenus par des chinois ? Merci encore pour tous vos articles si intéressants

IL GATTO DEL RABBINO a dit…

Si tu as une e-mail, je peux t'envoyer un article intéressant et des statistiques édifiantes sur la conquête de Venise par les Chinois en ce XXIe siècle.
Le juste retour des voyages de Marco Polo ?

géraud a dit…

C'est tenu par le chinois car les vénitiens tiennent les gondoles.
Les bars, restaurants sont vendus par les vénitiens aux chinois bien souvent au moment ù ces mêmes vénitiens quittent Venise.

Lorenzo a dit…

Savez vous que la librairie de San Lucà, une institution va bientôt fermer ses portes. La raison ? Le loyer demandé avec le renouvellement du bail par le propriétaire serait multiplié par quatre.Triste un monde qui voit les librairies disparaître !

géraud a dit…

Une boutique de prêt à porter de luxe pourra faire place nette de la poussière des pages des livres.

Jaio a dit…

Il est trop tard pour penser aux v�nitiens qui renstent et � ceux qui, comme moi voudraient le devenir. L'immobilier est grimp� aux �toiles par cette sp�culation.C'est pourtant un paradoxe. Les rez-de chauss�e ne sont pas habitables � cause de l'eau qui s'infiltre de plus en plus � mar�e-haute. R�sultat: De moins en moins de v�nitiens et de plus en plus d'apparts lou�s au jour ou � la semaine aux touristes � des prix d�fiant toutes les limites. Le soir, Venise est completement vide. A 10h, il n'y a plus personne. Serenissime= Sans bruits d'aucune sorte pour dormir:-)

Michelaise a dit…

Oui, vous avez tous raison, Venise livrée à la spéculation touristique, Venise qui se remplit et se vide en mouvements pendulaires, Venise bafouée et travestie en "pute" à touristes qui livre à chacun la même image frelatée... Oui vous avez raison c'est triste le soir de déambuler dans une ville déserte et mal éclairée, qui ne fait plus d'effort pour les né-natifs, ni même pour les habitants car eux n'ont pas besoin de clinquant !
Oui vous avez raison, le tourisme est tellement caricatural dans la Serenissime... Oui vous avez raison des paquebots qu'on se prend sur le coin de la figure cela a quelque chose démesuré qui fait froid dans le dos.
Mais...
Mais il y a 30 ans Venise était encore plus triste, avec ses maisons délabrées, ses magasins minables et ses ruelles presque insalubres. C'était sinistre à certains endroits, glacial l'hiver, insalubre l'été... pitoyable en un mot. Cette vague de spéculation nous a valu bien des restructurations qui auraient sinon été trop coûteuses, trop utopiques... Certes c'est mal maitrisé, suspect d'enrichissements sans cause et de manœuvres malséantes... Mais Venise s'est embellie aussi !
Je ne sais pas trop s'il faut être aussi désespéré... moi j'habite un petit village sur les bords de l'estuaire qui bénéficie l'hiver des conforts que l'afflux des touristes de l'été nous permet de nous offrir... il nous reste à la morte saison des luxes qui n'existeraient pas sans cette plaie de la fréquentation de masse. Alors allez savoir ! Certes dans mon village la folie ne dure qu'un ou deux mois... le reste de l'année, l'estuaire nous appartient ! Mais quand l'effet été se fait sentir, on se raisonne en se disant qu'il faut bien vivre, que c'est une "industrie" moins dévastatrice, moins polluante, moins envahissante qu'une autre !

... ou comme un rêve.

Peut-être que toutes les bonnes volontés se réveilleront et qu'on en finira avec les décisions imposées par Rome ou Bruxelles. Des femmes et des hommes réaliseront qu'il n'y a rien à attendre des institutions, figées dans des principes et des théories dont l'intérêt du citoyen est désormais exclu et qui ne sont régis que par des intérêts bassement financiers.
 
Ceux-là sauront prendre dans toutes les organisations politiques et syndicales, dans les comités de quartier et les associations, dans tous ces mouvements qui naissent et veulent agir pour sauver Venise et la vie à Venise. Ils parviendront à convaincre les propriétaires - nombreux le sont eux-mêmes - de renoncer à des profits immédiats pour envisager le long-terme qui est fait de civisme et de sens politique. En maintenant les loyers en l'état, en permettant aux vénitiens de louer leurs logements plutôt que de les transformer en chambres d'hôtes ou en hôtels de luxe, en favorisant le maintien ou le retour de ces commerces de proximité sans lesquelles il n'y a pas de vie sociale, en ouvrant la ville sur le monde sans renoncer à sa spécificité et à son caractère... Ils sauront persuader sans contraindre car à la passeggiata, devant un spritz ou un birrino, il est plus facile de convaincre. 
 
Unis par leur langue, par leur amour des lieux, leur naturelle bienveillance, ils réussiront là où les politiques n'ont pas réussi, sans contingenter le nombre de visiteurs, ils sauront l'aiguiller, le diviser par des aménagements spécifiques : les plages de l'Adriatique peuvent attirer bien davantage de monde et si Disney cherchait à s'implanter dans le centre historique plus ou moins directement, ils auront l'idée d'ouvrir des espaces ludiques où l'image que le touriste se fait de Venise sera à sa portée sans risquer d'endommager le patrimoine historique réel de la ville. 21 millions de visiteurs chaque année face à 150.000 habitants cela ne serait-il pas plus tolérable que ces mêmes millions face à 60.000 indigènes ?

2 commentaires :

Gérard a dit…

" .. Sa parfaite dignité de vie, son sentiment de l'honneur, sa modération, sa clémence et son humanité, ses qualités de juriste, non moins remarquables que ses vertus chevaleresques, cette haute sagesse, cette loyauté avisée, cette fleur de courtoisie, cette éloquence ferme et fine (...) font de lui le type même du « prudhomme », c'est-à-dire du parfait chevalier selon la définition de Saint Louis, et le représentant le plus accompli de la civilisation française en Orient au treizième siècle. "
Il y eut jadis un temps pour la guerre .
C'était hier .
Aujourd'hui , il nous semble que celui appelant la culture rassemblée , bref la courtoisie , est bel et bien venu .
Quand vont-ils comprendre ?
Jamais !
Ce sont des Rustres !
Continuons quand même .
Sans cesse .

Lorenzo a dit…

Demain comme un cauchemar...

Je me doutais que le précédent billet attirerait de nombreux commentaires. On ne peut en effet rester sans réaction devant cette terrible actualité qui pousse les vénitiens à se roidir devant l'inanité des programmes d'aménagement mis en place par les autorités, que les idées viennent de Rome (ce qui est de plus en plus mal accepté) ou de responsables plus proches du problème (à priori) comme le président de la région ou le maire. 
 
Ce dernier est un philosophe, ne l'oublions pas. Sa vision de la gestion, l'animation de la Res Publica passe chez lui par un prisme qu'on pourrait croire délivré de ces calculs bassement politiques que les politiques semblent assimiler à la politique. Pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots... La gestion et l'organisation de la vie de la cité ne devraient n'avoir jamais que l'intérêt du citoyen pour motif et pour objectif. Dans la réalité quotidienne - et ce depuis toujours - des critères de parti, de classe, de famille l'emportent sur l'intérêt général. Massimo Cacciari semblait vouloir apporter une gestion nouvelle, modèle même. Il est hélas empêtré dans des calculs de voix, des questions d'intérêts généraux qui ressemblent aux intérêts de grands groupes ou de familles politiques. Bref, il n'a pas pu - ou su - échapper à la politique politicienne et au jeu des interférences et des influences. Le résultat c'est une ville mourante, où le citoyen de base n'a plus la possibilité de se loger, de se nourrir ni de travailler sauf à abandonner les lieux traditionnels dans lesquels sa famille a toujours vécu : plus d'épicerie ni de boulangerie à proximité, moins d'écoles, bientôt plus de maternité. des loyers qui sont régulièrement multipliés par trois ou quatre, sans que l'Etat ne souhaite intervenir - logique impitoyable du libéralisme - et il est contraint de partir vers Mestre. Ou pire, vers Marghera, là où le sol, l'air et l'eau sont imbibés de poison pour de nombreux siècles...

C'est pour cela que je dis et redis que Venise et son avenir sont l'image de ce que sera l'avenir de notre continent, voire de l'humanité. Tant pis si l'on me prend pour un pessimiste imbécile. Ce que nous saurons faire pour sauver Venise et sauver sa vraie vie quotidienne - il ne s'agit pas vous le comprendrez de la vie des touristes, des pigeons de la place (les vrais, ceux à plume pas ceux qu'on plume!) et des vendeurs de souvenirs de pacotille made in Taïwan - nous saurons le réaliser partout ailleurs.

Regardez cette photo incroyable. Le paquebot qui ressemble à un gratte-ciel surplombe la ville. Son tirant d'eau est énorme et pourtant il a pu accoster devant le quai des Esclavons. On peut imaginer le mouvement des eaux, les flux souterrains qui sont venus heurter les fondations des quais et plus loin des immeubles dont une grande partie à cet endroit est construite sur pilotis comme du côté du Rialto. C'est bien le symbole d'une époque où le "tout profit" et la culture de masse affrontent ce monde très spécifiquement à l'échelle humaine dont Venise, avec son écosystème et son organisation urbaine, est le dernier symbole vivant. 
 
Cette image me fait horreur. Elle impressionne certes dans le sens où elle marque le spectateur. Moi, elle me fait peur. Prions pour que nous ne voyons jamais Venise d'aussi haut, comme submergée, magnifiée par le souvenir qu'on en aurait. Une Venise qu'on apercevrait par beau temps, quand la mer est calme et dont les ruines surgiraient sous les eaux entre des bancs d'algue. "Mesdames, messieurs, à votre droite, comme si vous y étiez, vingt mètres plus bas au fond de l'eau si claire parce que le détergent créé par la société SeaBright Inc. a permis de la débarrasser de tout ce qui aurait pu gêner votre vision, vous apercevez les bulbes de la basilique san Marco. A 16 heures vous pourrez y admirer le ballet des dauphins offert par Disney et le consortium des casinos de Las Vegas." annonceraient les hauts-parleurs des bateaux. En anglais et en chinois bien entendu... 
 

5 commentaires:

IL GATTO DEL RABBINO a dit…

J'ai vu, à Venise, un camion semi-remorque sur une barge ravitailler (en je ne sais en quoi) un tel monstre des mers. C'était une image incroyable : le semi-remorque me donnait l'impression d'être un petit camion jouet qui allait tenir dans ma main.

Anonyme a dit…

C'est la seule image de Venise que je ne peut pas aimer ... quelle distance!

Jaio a dit…

Inimaginable...Et le maire est un philosophe?

Anonyme a dit…

"Venise et son avenir sont l'image de ce que sera l'avenir de notre continent, voire de l'humanité" : une analyse tout à fait pertinente.

Mehdi a dit…

"critère de classe" ? Seriez vous secrêtement communiste, Lorenzo ?
Image déplorable du reste. A première vue, j'ai pensé à un immeuble .