VENISE, UN LIEU MA ANCHE UN VIAGGIO NELL'EUROPA CHE MI PIACE NOT THE ONE OF THE GLOBALIZATION, MAIS CELLE DES NATIONS, DES PEUPLES, DES CULTURES, PATRIA DELLA DEMOCRAZIA DELLA FILOSOFIA DELLA STORIA LA REINE DES VILLES AU SEIN DE L'EUROPE, REINE DU MONDE
Dans tous les pays du monde, à la ville comme à la campagne, il y a des marchés. L'atmosphère y est souvent très roborative. Les plus chagrins se dérident au milieu des étals de fruits et de légumes, parmi cette foule bon enfant le plus souvent qui traîne, regarde les marchandises, compare, discute. Nulle agressivité sur un marché, ce n'est pas comme
dans ces grandes surfaces impersonnelles ou, derrière son caddie, la ménagère énervée part en guerre contre ceux qui hésitent dans les rayons, contre la caissière trop lente ou le qui manque bien sur quand on en a besoin.
A Venise, plus encore qu'ailleurs, aller faire son marché est un réel plaisir. D'abord parce qu'on se retrouve vite hors du temps : pas de camion, d'odeur de pots d'échappement, d'embouteillages. Lorsque vous habitez de l'autre côté du grand canal, le meilleur moyen d'y arriver est de prendre le traghetto, ces gondoles avec deux gondoliers qui vous transportent d'une rive à l'autre pour quelques centimes depuis mille ans. Il y a aussi le pont du Rialto toujours gorgé de monde comme c'était déjà le cas au Moyen-âge.
Les ruelles sont remplies de monde, les marchands de fruits, de légumes, d'aromates, mais aussi les bouchers, les poissonniers, les charcutiers, tous rivalisent d'ingéniosité pour présenter leur marchandise aux vénitiennes tirant leur chariot. Jusque dans les années 90, quasiment toutes les marchandises provenaient des environs proches de la Sérénissime : Mazzorbo, Padoue, Vicenza.... les étiquettes sur les caisses le signalaient. Du locavore avant que le mot soit inventé.
Mais d'autres lieux plus paisibles abritent aussi de petits marchés. Pour ne citer que ceux-là : le campo santa Margarita, avec un des meilleurs poissonniers de la ville et un fleuriste sympathique, la barque delle erbe à deux pas, au pied du ponte dei Pugni de San Barnabà, les marchands des quatre saisons de la Lista di Spagna, ceux du campo Santa Maria Formosa, ceux encore de Castello, sur la Via Garibaldi... Un univers vivant, pittoresque où l'on trouve une marchandise qui échappe encore aux règlements imbéciles établis par les fonctionnaires obtus du Parlement européen. Hélas, comme partout ailleurs le libéralisme l'emporte et bien des étals n'existent plus.
Les plus exotiques étaient les oranges de Siçile ou les pommes de terre du Piémont. Chicorée dite de Vérone, choux et carottes de Torcello ou d'une île-jardin du nord de la lagune... Rien à voir avec ces fruits insipides et ses légumes calibrés arrivant du bout du monde, que l'on trouve dans nos supermarchés aseptisés ! Il avait de beaux œufs, énormes, provenant d'une ferme de San'Erasmo. Les deux jolies sculpture brillantes comme du fer luisent toujours de chaque côté de la devanture comme deux hiératiques gardiens. Hélas, le rideau est baissé depuis longtemps maintenant. Dans la boutique se retrouvaient chaque matin toutes les vieilles dames du quartier, les étrangers qui résidaient dans les beaux immeubles de Dorsoduro et les cuisiniers des trattorias du coin. Une grande famille en quelque sorte. Le marchand ne parlait que le vénitien et je n'étais pas peu fier quand il m'accueillait le matin me gratifiant d'un très sonore "Buon di, sior Lorenzo, cosa ti vuoi, oggi?"...
[Réédition après corrections d'un billet paru en novembre 2005 que Google n'avait pas indexé. Allez savoir pourquoi...]
Non, il ne s'agit pas seulement d'un «bookshop» de musée ou d'un coin livres comme on en trouve souvent, mais d'une véritable librairie indépendante, « autonome dans sa proposition, radicale dans ses choix» proposant, en plus des catalogues d'expositions, des œuvres d'art et des objets de design attendus dans ces lieux, un véritable choix éditorial en collaboration avec les éditions Tlon et d'autres éditeurs indépendants. Tramezzinimag et Deltae Edizioni se félicitent de cette ouverture et adressent les meilleurs vœux de réussite à la nouvelle structure.
La librairie combinera deux dimensions souvent perçues comme distinctes : celle de la librairie muséale avec des livres, des objets et des catalogues et celle de la librairie indépendante, qui se distingue par son autonomie une proposition originale (orientée ?) et sa vocation à la recherche. Tlon explique ainsi l'idée générale qui présida à la création de sa librairie :
«...Avec la Libreria Giovanni, nous voulons nous adresser aux citoyens de Venise, aux lecteurs affectueux et passionnés de la Fondation, à ceux qui cherchent un livre ou un objet, à lire, à posséder, à offrir, à partager.
Pour les Vénitiens et les Vénitiennes, et pour ceux qui sont de passage, nous voulons que la Libreria Giovanni soit un centre de gravité permanent, au milieu des vagues bondées de la ville que Joseph Brodski appelait l'aquarium du monde, la plus métaphysique de toutes les villes.
Il s'agit du quatrième point de vente géré par les Edizioni Tlon, après la Libreria Teatro de Rome, la librairie de la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea et la sélection de livres de l'Académie française de Rome, Villa Médicis. Avec l'ouverture de la Libreria Giovanni, Tlon entame un dialogue avec la majestueuse et vivante région vénitienne.
Une librairie indépendante qui se veut un cadre culturel social, capable de contribuer activement à la transformation du tissu urbain et à la vie culturelle des communautés.»
La Fondation Querini Stampalia, en lançant la librairie Giovanni, continue son chemin de renouvellement culturel. Le chois d'en confier la gestion aux éditions Tlon plutôt qu'à d'autres éditeurs indépendants ou à un regroupement d'éditeurs n'est pas anodin. La prise en charge par Tlon d'un lieu conçu dès l'origine pour intégrer et amplifier l'expérience du musée, est une gageure. Ce n'est pas une simple librairie, mais une librairie indépendante, conçue pour accueillir différents publics et déployer un dialogue avec les vénitiens, avec la ville. «Un point de rencontre. Un endroit en évolution continue, où revenir et revenir, pour découvrir de nouvelles idées et suggestions à emporter avec vous.» dit le communiqué de la Fondation.
La librairie nouvelle de la QS est signée Martí Guixé. Elle est dédiée au fondateur Giovanni Querini, fondateur de l'institution qui doit sûrement froncer les sourcils et s'interroger. « Eller eprésente un point de rencontre entre deux âmes complémentaires: celle de la librairie du musée, qui étend l'expérience du musée à travers des livres, des catalogues, des objets, des gadgets et celui de la bibliothèque indépendante, avec une proposition éditoriale autonome, raffinée et accessible. Un espace dans lequel le livre devient un instrument d'analyse et de stimulus en profondeur pour la compréhension du présent». On retrouve dans ces propos (officiels), les mêmes arguments qu'à Harvard où les classiques et les livres politiquement opposés aux idées des nouveaux maîtres à penser ne sont plus vendus et impossibles à commander, à défaut d'être interdits pour l'instant et les lecteurs mis au pilori au nom de cette nouvelle idéologie mortifère.
Message
reçu donc. On ne peut que se réjouir de voir une autre librairie s'ouvrir à
Venise. Mais restons vigilants, l'épidémie serait-elle en train de gagner Venise aussi ? Gageons que celle-ci sera simplement à l'image des éditions Tlon, un rien
iconoclaste, libre, ouverte sur le monde et les temps modernes. Mais
espérons qu'elle ne devienne pas une sorte d'annexe de ces officines militantes ultras qui ne voient la littérature que comme un outil révolutionnaire,
éliminant de leurs rayonnages tout ce qui n'est pas politiquement
correct selon leur définition personnelle. Tant qu'on y trouve de belles
et grandes choses, qu'on peut y découvrir de nouveaux auteurs, des idées nouvelles, n'est ce pas ce qu'on cherche en furetant chez un libraire ?
Ce qu'on cherche en tout
cas n'est pas cette nouvelle pensée unique, démultipliée à l'infini et à toutes les sauces. Ce n'est pas ce qui
attire la grande majorité des lecteurs, même les plus curieux. Non, il serait étonnant que cet esprit délétère
exporté des États-Unis - en fait de certains foyers intellectuels
américains heureusement minoritaires - devienne la marque de La
librairie de la Querini Stampalia et soit le choix de la direction pour faire rentrer la Fondation, son musée et sa bibliothèque dans la modernité... Nous en reparlerons dans quelques mois, le temps de voir ce qu'il en est de l'accueil du public et des vénitiens. en attendant, bonne visite et si vous êtes à Venise pour le solstice, ne manquez pas les réjouissances prévues !
Au détour d'une page du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhöff, Antoine découvrit une carte postale. Un vieux cliché jauni montrant une vue de l'église de San Giacomo del Rialto. Au verso était griffonnée au crayon une vue de l'église que quelques traits au pastel rendaient vivante. Elle portait la mention, « Pour mon ami plus vénitien que russe, de la part de son anarchiste préféré, Paul Signac, 28 avril 1908 »... Antoine n'en revenait pas, il avait entre les mains un dessin du peintre dont il avait découvert le travail en visitant le musée de l'Annonciade.
Plus il avançait dans sa découverte du journal de Nicolas, plus il s'émerveillait de la vie d'un garçon à peine plus âgé que lui aujourd'hui et qui avait déjà connu l' les grands-parents d'Antoine ne vivaient de romanesque que les expéditions dans les réserves de la maison pour voler des confitures où les baisers furtifs volés aux cousines quand la gouvernante tournait le dos. Eux passaient de la grande maison en ville au collège, de la propriété des grands-parents à la villa d'Arcachon. Il posa la carte postale sur la table et poursuivit sa lecture :
28 avril 1908.
« [texte en allemand rayé illisible, quelques mots en russe.]Aujourd'hui, visite des Miracoli en compagnie de Paul S. et de sa charmante
épouse, rencontrés récemment au Florian et avec qui j'ai sympathisé. Le peintre et sa muse aiment beaucoup la ville.Paul, avec
son regard aiguisé et sa muse à ses côtés, semble avoir trouvé en Venise
une source inépuisable d'inspiration. Pris beaucoup de plaisir à leur montrer les lieux que j'aime particulièrement et qu'on ne cite pas dans le Baedeker. Ces recoins empreints de souvenirs et de
significations personnelles.J'avais six ans quand notre mère nous amena avec elle à Venise. J'en garde l'impression d'émerveillement et de joie qui s'était emparée de moi quand nous sommes descendus du bateau.
« Les idées libertaires de Paul, bien qu'en
décalage avec l'univers dans lequel j'ai grandi, éveillent en moi une
curiosité et une réflexion stimulante. Berthe, avec son sourire
bienveillant, semble apprécier nos échanges passionnés, où l'artiste et
le jeune aristocrate russe confrontent leurs visions du monde. Il est
fascinant de constater comment des perspectives si différentes peuvent
se rencontrer et s'enrichir mutuellement.
Agréables moments donc qui m'ont inspiré quelques mauvais vers. Ma chère maman aurait voulu que je les conserve.
Le feuillet où était copié le poème manquait. On voyait nettement qu'on l'avait arraché du carnet. Mais certainement dans un repentir, Nicolas l'avait conservé. Antoine le retrouva plié en quatre, glissé entre des pages. Il était couvert de dessins et de graffitis à la plume. Le sonnet était en allemand :
Im sanften Schatten eines alten Traums, Schleicht ein Flüstern, geheim und fern, Die Schleier aus Nebel umarmen sich leise, Enthüllen Welten, wo Seelen sich malen.
Die Sterne flüstern vergessene Geschichten, Im ätherischen Himmel, ihre Lichter umschlungen, Dort, wo die Zeit ihren leichten Atem anhält, Finden verlorene Herzen endlich Frieden. (*)
Antoine poursuivit sa lecture, avide d'en savoir davantage.
[...]Cette promenade matinale m'a
rappelé une autre époque, un autre matin, où je m'étais aventuré à la
rencontre d'Edmund, cet ami anglais. Nous avions pratiquement le même âge. Je l'avais rencontré lors d'un thé chez les Giovanelli, chez qui nous résidions à l'époque. Une rencontre fortuite qui marqua un
tournant dans ma vie. Il y a un peu plus de dix ans déjà.
In flüchtiges Treffen, am Wendepunkt des Schicksals, In den Äther gemeißelt, durch göttlichen Atem, Wo Wege sich kreuzen, in geheimem Reigen, Und Seelen erwachen zum seltsamen Reiz.
Unter dem Schleier des Zufalls verweben sich Schicksale, Goldene Fäden spinnend in unendlicher Dunkelheit, Und im Schweigen legt sich ein Versprechen nieder, Das für immer das Gewebe der Dinge verändert. (*)
Bien
sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des
Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans
l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet
secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du
hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre
infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais
la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et
l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes,
n'hésitez pas à me le faire savoir !
Bien
sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des
Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans
l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet
secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du
hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre
infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais
la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et
l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes,
n'hésitez pas à me le faire savoir !
Je me rends compte qu'à travers les années, Venise a toujours été pour moi le
théâtre de rencontres significatives, de ces croisements de destin qui, à
leur manière, sculptent le cours de notre existence. Aujourd'hui, je ne
peux m'empêcher de me demander quelles nouvelles aventures et quels
nouveaux liens cette ville magique me réserve encore. [...]
Antoine était un peu perdu. Il tourna les pages du journal en espérant avoir le détail de ce à quoi Nicolas faisait référence. Soudain, il trouva. L'entrée portait la date du 14 octobre 1897 :
« Rialto ce matin. J'avais craint que le brouillard ne s'attarde, mais il était à
peine neuf heures lorsque je posai le pied sur le ponton. Le marché
battait son plein, bien que les couleurs familières me parussent
délavées, telles une aquarelle estompée. J'espérais croiser le jeune
Anglais avec lequel j'avais échangé quelques mots l'autre soir chez les Giovanelli. Il m'avait confié qu'il se rendait chaque matin dans ce
quartier animé, dans l'espoir de revoir une jeune femme dont l'allure
l'avait, selon ses propres termes, ensorcelé. Il prétendait connaître
son adresse, et la contrada San Zuane ne lui était plus étrangère. Ce
vieux quartier, partiellement insalubre dès que l'on s'éloigne des
placettes bordant le canalazzo, abrite la chiesa San Giacometo, si
vieille qu'on la croirait prête à s'effondrer, à l'instar du pauvre
campanile de San Marco. La grisaille de ce matin accentuait cette
impression de décrépitude [mots illisibles en russe].
Un mendiant s'empara
de la manche de mon manteau. Son apparence était repoussante, avec une
large bouche dévoilant deux dents jaunes. Il marmonna des paroles que je
ne compris point. Un prêtre finit par le chasser. Derrière ce triste
personnage, deux jeunes femmes avançaient, chacune la tête et les
épaules recouvertes d'un châle de cachemire. Leurs motifs si semblables
me donnèrent d'abord l'impression qu'elles partageaient une même
écharpe. le vieil accordéoniste qu'on croise souvent sur les Schiavoni, jouait au pied des marches du pont,
tandis que la messe semblait s'achever. Peu de fidèles en sortaient. Parmi eux, je
ne remarquai que ces deux jeunes femmes.
Je ne sais pourquoi, mais dès
l'instant où je posai les yeux sur elles, je compris pourquoi Edmund cherchait à revoir cette jeune fille dont il avait parlé dans le salon du prince. Il s'agissait certainement de la plus jeune. Elle se tenait droite, le visage protégé des miasmes de la rue par son châle. Il émanait d'elle une sorte de lumière. Le prince Alberto s'était gentiment moqué de notre pauvre anglais; J'avais ri avec lui sans entendre vraiment le motif de la plaisanterie. Giovanelli a notre âge. Il est drôle, impétueux et débonnaire. C'est un bergamasque. Un peu l'équivalent des cosaques chez moi.
Toutes ces pensées qui m'étaient venues en cheminant du palais jusqu'au Rialto s'évanouirent quand je vis sortir les deux jeunes femmes. Je sus
aussitôt qu'elles me plaisaient. Je m'empêchais de les dévisager davantage. Juste derrière, Edmund suivait à quelques pas
des jeunes femmes. Il ajustait son chapeau. Impossible de ne pas le
reconnaître pour un Anglais, non seulement à cause de ses cheveux roux
et bouclés, mais aussi par son manteau dont le ton tranchait avec ceux des gens qui sortaient comme lui de l'église. Ah, ses vêtements ! Je lui fis
un signe, et lorsqu'il me vit, il agita son chapeau avec un large
sourire. Des manières fort anglaises, ma foi.
Antoine connaissait bien les lieux évoqués par Nicolas. Mais ils avaient depuis longtemps été restaurés et plus aucune trace ne subsiste de l'impression misérable du bâtiment. L'église semble presque pimpante, les maisons attenantes recouvertes d'un joli torchis, les volets repeints. L'horloge qu'on voit sur la photographie trouvée dans le journal de Nicolas a été remplacée par celle du XVIIIe siècle qui avait été déposée par l'occupant autrichien. Elle occupe presque tout le fronton de l'église. Il n'y a plus de mendiants assis sur le rebord du parvis. Même par un jour de brouillard, les lieux n'évoquent en rien la tristesse et la pauvreté qui choqua tant Nicolas. Avait-il été mal à l'aise aussi en Russie, devant la misère de certaines rues de Petersbourg ou de Moscou ?
Antoine l'avait appris dès les premières pages du journal vénitien de Nicolas. Les Weyss de Weyssenhoff occupaient depuis plusieurs mois une aile du palais Donà Giovanelli que leur louait la princesse, une grande amie de la comtesse. Mais ceci fera l'objet d'un autre récit.
Plusieurs années séparent ces deux clichés. Le bureau que j'avais aménagé dans une petite colocation où j'ai habité quelques semaines le temps d'un été, est celui sur lequel j'ai déchiffré et retranscrit les pages du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhoff et pris mes premières notes sur ce texte qui n'en finit pas de grossir sans pour autant me sembler satisfaisant. J'aimais bien cette chambre aménagée dans le grenier d'un des palazzi de la Fondamenta dei Preti, à Sta Maria Formosa. Il faisait terriblement chaud cet été-là et nous faisions des courants d'air pour que l'air soit moins suffocant. Ma fenêtre donnait sur les toits et encadrait le haut du campanile. Je m'installais souvent sur le poggiolo assez large pour y disposer des coussins. La vue, la brise pleine de senteurs marines, de la musique, du thé et des biscuits, tout était réuni pour les moments heureux et solitaires qui m'aident à me concentrer avant que d'écrire.
La seconde photographie - on parle de "selfie" n'est-ce pas a été prise dans la chambre de l'appartement où j'ai eu la joie d'habiter après le départ contraint du campo sant'Angelo par la mort de la propriétaire du palazzo à l'entrée de la Calle degli Avvocati. C'est à ce petit bureau de dame que j'ai poursuivi mon travail d'écriture autour de la vie et de la fin disparition de Nicolas W. de W., personnage ô combien mystérieux dont je découvrais peu à peu sous ma plume la consistance et les émotions. C'est là que furent rédigées les notes autour de cette carte postale montrant l'église San Giacomo au Rialto.
Si dans le monde entier ce jour spécial est l'occasion de la Fête de la Musique (*), à Venise, l'énergie créative de la Sérénissime s'enflamme au crépuscule avec Art Night, «Art Night, la nuit magique dédiée à l'art et à la culture» inventée par la Ca'Foscari.Depuis quelques
années, le jour du solstice est ainsi prétexte à l'ouverture des musées et
galeries d'art où la musique se mêle aux autres arts. C'est dans ce contexte
dynamique que la Fondazione Querini Stampalia célèbre son anniversaire
avec le Q-Day / Art Night. Pendant toute la journée, l'évènement sera l'occasion unique de
découvrir gratuitement les Querini - visites guidées, itinéraires
créatifs, présentations, performances musicales - et «de célébrer le solstice en se laissant inspirer par l'émerveillement».
«A la lecture du programme, on voit que dans quelques jours il va se passer de bien belles choses au sein de la Fondation. Le 21 juin, jour du solstice d'été, est un jour spécial : la fête de la musique est célébrée et, à Venise, l'énergie créative s'enflamme au crépuscule avec l'Art Night, la nuit magique dédiée à l'art et à la culture. C'est dans ce contexte dynamique que la Fondazione Querini Stampalia célèbre son anniversaire avec le Q-Day / Art Night.
La Fondation propose donc une journée entière (entrée gratuite), dès 9 heures et jusqu'à tard dans la nuit, qui comprendra des visites guidées, des itinéraires créatifs, des présentations, des performances musicales - «pour célébrer ensemble en se laissant inspirer par l'émerveillement».
Visites guidées de la bibliothèque et du musée donc qui permettront d'explorer les espaces historiques et les parcours d'exposition. Le personnel de la bibliothèque accompagnera les visiteurs parmi les manuscrits et les livres anciens, tandis que des historiens d'art les guideront à travers le musée et les expositions en cours. Les visites seront gratuites - ce qui est à souligner dans une ville où tout devient payant - et elles se dérouleront en italien - à souligner aussi - pour une maximum de 20 participants à chaque fois. Autant préciser qu'il est nécessaire de réserver pour être sûr de pouvoir y participer. Ceux qui retireront leur carte d'accès à la bibliothèque avant le jour J recevront gratuitement un catalogue d'architecture ou un volume sur l'histoire de la Fondation.
Pendant la journée, il sera possible de découvrir les différents groupes de lecture de la Fondation : Di libro in libro, dédié aux lecteurs seniors, et Scompaginati, destiné à un public plus jeune. L'association Un Gomitolo a Venezia - Knit Café impliquera le public dans un atelier ouvert : «une manière concrète de partager son temps et son talent, en créant des liens authentiques avec la communauté».
Ce sera aussi l'occasion si vous ne l'avez pas encore fait de devenir membre de la Fondation, ce qui «signifie vivre la culture en tant que protagoniste, participer en première personne à la vie des Querini et soutenir ses projets»(**). Plus encore,le 21 juin, les personnes qui s'inscriront pour la première fois, outre les avantages liés à l'adhésion (accès prioritaire aux expositions, évènements réservés, réductions spéciales) bénéficieront de la promotion «2x1» : une seconde carte «in omaggio»à offrir à une(e) ami(e). «Une invitation à partager avec quelqu'un un geste simple, mais plein de sens» En tout cas, un moyen intelligent de faire grossir les rangs des adhérents dans ces temps de vaches maigres budgétaires.
Tout au long de la journée, la libreria Giovanni, qui se veut bien plus qu'un bookshop de musée, il sera proposé une sélection spéciale de livres, en collaboration avec les éditions Tlon, «Maison d'édition indépendante de philosophie et de floraison personnelle» - bien plus poétique vous ne trouvez pas que le fameux «développement personnel» dont on nous rabat les oreilles - en plus des catalogues et objets liés à l'histoire de la Fondation et aux expositions en cours, avec des réductions spécifiques uniquement pour le 21 juin. Le nouveau Cafè Mariona, signé par Rosa Salva, proposera à partir de 18 heures, un apéritif dédié à l'occasion à un prix specialissimo. «L'occasion de vivre ensemble une véritable fête de l'émerveillement».
«À l'occasion de la Nuit de l'Art, la Fondazione Querini Stampalia se transforme en un carrefour vibrant de culture et de créativité» et ce jusqu'à 22 heures. Les visiteurs pourront ainsi «explorer gratuitement les espaces de la Fondazione, redécouvrir les lieux, revoir les collections et les expositions temporaires à la lumière d'un esprit d'accueil renouvelé, en se laissant guider par l'émerveillement».
Des visites guidées des collections de livres anciens et de manuscrits animeront la soirée, sur le thème Venetian Roars (lui aussi décrit en langue anglaise sur les documents de presse !) des lions de Venise. Voyons ce qu'en dit le dossier de presse :
« San Marco en forme de lion est
plus qu'une devise : c'est l'âme même de Venise. Depuis le XIIIe
siècle, le lion ailé incarne la force, la sagesse et l'autorité de la
Sérénissime. Au cours de cette visite guidée, il sera possible d'admirer des volumes anciens, des gravures et des manuscrits documentant
l'évolution iconographique du lion vénitien, du symbole civique à
l'emblème universel. Un voyage à travers des documents d'archives et des
vues du XVIIIe siècle, entre l'Arsenal et la chancellerie ducale, pour
découvrir comment une image a construit l'identité d'une République.»
Fête de la Musique oblige, il y aura aussi un concert dans le jardin conçu par Carlo Scarpa et la poésie sera de la fête. Comme tous les évènements nocturnes dans cet espace, cela risque fort d'être magique. La Querini mettra à l'honneur le castillan Micó, l'un des principaux poètes espagnols contemporains,qui est également philologue, traducteur et musicien. La poésie qui se fait musique donc avec ce récital, intitulé “L’equilibrio impossibile” | Marta y Micó.
«Des
mots qui deviennent chansons, de la poésie qui se transforme en mélodie
: tel est le cœur du concert de Marta y Micó, le duo formé par José
María Micó et son épouse Marta Boldú, voix et guitare dans un dialogue
intime et intense. C'est
précisément de cet entrelacement qu'est née son œuvre artistique,
aujourd'hui enfin accessible au public italien : «L'equilibrio
impossibile» publié chez Molesini Editore, l'éditeur vénitien que nous aimons beaucoup à Tramezzinimag, la première anthologie en italien de sa
production poétique, publiée en janvier dernier, dont nous reparlerons prochainement dans notre rubrique Coups de Cœur.
Tout au long du parcours, des médiateurs culturels de Ca' Foscari accompagneront les visiteurs « dans un dialogue ouvert avec les œuvres et l'architecture, en favorisant les expériences d'échange et de partage».
Gageons qu'une fois encore la Querini-Stampalia créera l'évènement et que les visiteurs ce jour-là ne regretteront pas de s'être déplacés. Nous nous y croiserons peut-être, chers lecteurs.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore bien Venise :
La Fondation Querini Stampalia.
«La Fondation Querini Stampalia est l'une des plus anciennes institutions culturelles italiennes. Depuis 1869, elle promeut « le culte des bonnes études et des disciplines utiles », avec un regard curieux et une passion pour l'avenir.»
C'est ainsi que se présente cette organisation unique qui est un des lieux les plus importants culturellement de la sérénissime avec son magnifique palais aménagé de 1959 à 1963par le grand architecte Carlo Scarpa puis rénové et agrandi sous la férule de Valerio Pastor et enfin de Mario Botta. Les locaux abritent un musée rempli de trésors de la peinture vénitienne, de mobilier et d'objets d'art qui méritent d'être vus. C'est aussi une bibliothèque publique, un lieu d'expositions temporaires, un agréable jardin et un délicieux espace de restauration, l'un des plus agréables de Venise.
Suivant la volonté du donateur, la fondation a été l'une des premières bibliothèques ouvertes en permanence, tard la nuit et des générations de lecteurs, étudiants, chercheurs ou simples lecteurs ont pu pendant des années venir dans le palazzo y travailler la nuit, dans le silence des grandes salles ornées de tableaux anciens, parmi un mobilier confortable et rassurant comme une bibliothèque familiale. Hélas, les temps changent et la volonté première du donateur a été enterrée. Certainement des questions de budget ou de sécurité, les maîtres de toutes les décisions dans ce monde en pleine déliquescence.
Nous le regrettons à Tramezzinimag et ne cesserons de partager le combat de ceux qui souhaitent la réouverture de la bibliothèque jusqu'à au moins 23 heures quitte à réserver les lieux aux seuls étudiants et chercheurs. Qu'importe que parfois nous n'étions qu'une dizaine à rester travailler aussi tard. C'était un privilège offert par le fondateur à tous, sans distinction d'âge ou de classe sociale.
L'antique tradition chrétienne dit que trois rois suivirent le sillage d'une étoile et
se mirent en route vers Bethléem pour adorer l'enfant Jésus. Ils lui
firent trois cadeaux : l'or parce qu'il était roi des rois, l'encens parce qu'il
était dieu et la myrrhe, dont on se servait dans les temps anciens pour embaumer les morts- , parce que ce dieu-roi des rois était aussi homme parmi les hommes et qu'en tant que tel, il était mortel.
Le Lundi de l'Ange est joliment appelé ici Pasquetta (littéralement la petite Pâque). Ce jour-là, chômé comme un peu partout en Occident, la tradition à Venise est de sortir de la ville. La plupart du temps, tout le monde se rend sur la lagune. Les restaurants de Murano, Burano et et de Torcello sont pris d'assaut par les familles. On va aussi au Lido pour une journée à la plage. Ceux qui ont leur barque choisissent souvent d'aller bivouaquer sur une des îles plus ou moins abandonnées de la lagune. A Venise, on aime pique-niquer.
La Pasquetta, c'est le prétexte des premières promenades sur la lagune ou vers la mer qui annoncent le retour de la belle saison. L'atmosphère détendue des îles, ou des plages du littoral, au Lido ou plus loin permettent de laisser la foule des touristes qui ne diminue presque jamais désormais. Un bol d'oxygène, un moment entre soi.
C'est aussi le jour d'une autre antique tradition à Venise, appréciée des touristes qui sont souvent surpris par l'évènement. Il s'agit de la très rare procession des rois mages, du moins le défilé de leur version automate de la tour de l'horloge sur la Piazza, que l'on va admirer en famille.
Cette tour de l'Horloge construite sous la houlette de l'architecte Mauro Colussi en 1496 (en quatre ans !) complétée au XVIIIe siècle par les deux ailes latérales, est un des hauts-lieux de la Piazza, la Place Saint-Marc. Très (trop ?) appréciée des touristes, le monument mérite le déplacement. Voir ses automates défiler est un évènement et ce depuis leur installation en 1499. Bien qu'ils aient été remplacés à l'identique lors de l'extension du bâtiment, ils fascinent toujours autant les petits et les grands.
L'horloge est un monument dans le monument. Aucun mécanisme de cette qualité n'existait ailleurs. avant elle, seules les horloges hydrauliques connues dans l'Antiquité puis à l'époque byzantine. Umberto Eco évoque dans son «Histoire des Terres et des Lieux Légendaires», la fameuse horloge de Gaza qui servit de modèle et d'inspirations à d'autres horloges monumentales aujourd'hui disparues :
« De Byzance, on se souvient d'une horloge monumentale du marché de Gaza, décrite au VIIe siècle par Procope, décorée sur le pignon d'une tête de Gorgone roulant des yeux à l'heure. En dessous se trouvaient douze fenêtres qui marquaient les heures de la nuit ; et douze portes qui s'ouvraient toutes les heures au passage d'une statue d'Hélios et à la sortie d'Héraclès couronné par un aigle en plein vol. »
Cette horloge de Gaza qui datait des années 500, est antérieure aux horloges arabes, mais nul doute
qu'un lien étroit relie cette horloge à ses héritières. L'écrivain Procope la décrit en détail dans l'un de ses exercices de rhétorique, «L'éthopé» intitulée «Description de l'Horloge» si bien qu'on a pu en donner
une image assez convaincante. Elle était installée sur une place publique de la ville du temps où ces lieux n'étaient pas le repère de fondamentalistes obscurantistes, mais une ancienne colonie romaine après avoir été une cité perse. Province du royaume d'Hérode, elle était un des principaux port du royaume d'Israël, attirant négociants et armateurs du monde méditerranéen. À cause de son emplacement au carrefour de trois mondes, Gaza a depuis
toujours été un enjeu des puissances régionales, des rivalités parfois à
l’intérieur des mêmes dynasties. Considérée comme joyau, elle fut
offerte à Cléopâtre par son époux, nouveau maître de l’Égypte, le
général romain Marc-Antoine. Mais la défaite en – 31 av. J.-C. des
armées de ce dernier entraîna le retour de Gaza dans le
royaume d’Hérode, à la veille de l’ère chrétienne, avant qu’elle n’entre
pour environ six siècles dans l’empire romain puis de Byzance.
« Au temps d'Alexandre, elle a été un port antique hors pair, et s'appelait Anthédon. De sa rade partaient des navires vers le reste du monde : Rome, Carthage, Byzance, Athènes... tout ce que le commerce de l’Orient apportait ». Elle était célèbre aussi pour « ses magnifiques vignobles » qui produisaient un nectar très apprécié à Rome comme à Athènes et à Byzance. Sa population était formée en majorité de juifs mais aussi de descendants de colons grecs et romains. Les nomades arabes y étaient peu nombreux, souvent venus pour travailler dans les vignes et sur le port. Rien à voir avec la population actuelle dont d'aucuns sont persuadés que cette région a depuis toujours été la leur. Mais cela est un autre sujet.
Selon Procope, la fontaine était installée sur une place publique, dans un édifice ancien, certainement bâti par les grecs ou les romains) d'une hauteur de près de 6 mètres sur un peu moins de 3 mètres de large. Wikipedia montre une reconstitution de la façade de l'horloge qui devait être impressionnante. en voici le détail :
Au milieu du fronton, dans la partie haute de la structure, se trouvait une tête de gorgone qui roulait les yeux à droite et à gauche à chaque heure (1). Au dessous, douze ouvertures carrées avaient été pratiquées qui servait à indiquer les heures temporaires (les douze heures de la nuit) par une lumière spéciale qui se déplaçait à chaque heure (2). Plus bas, une rangée de douze portes à double battant indiquait les heures temporaires de jour. En s'ouvrant, elles montraient chacune une statuette d'Hercule avec un des attributs correspondant à ses douze travaux (3). Une statue d'Hélios tenant une mappemonde dans les mains, se déplaçait d'heure en heure devant les douze portes (4) Chacune des portes était ornée d'un aigle tenant dans ses serres une couronne de lauriers (5).
À la fin de la première heure de jour, Hélios se présentait devant la
porte correspondante qui s'ouvrait pour laisser s'avancer une statuette
d'Hercule portant l'emblème de sa première victoire, la peau du Lion de Némée; l'aigle, placé au-dessus, déploiyait alors ses ailes et présentait sa couronne de lauriers sur la tête de la statuette. Puis, Hercule se retirait, les portes se refermaient et l'aigle reployait ses ailes. Le scénario se reproduisait d'heure en heure jusqu'au coucher du Soleil.
Dans la partie inférieure de l'édifice se trouvent trois dais, sortes de portiques à colonnes abritant chacun une statue d'Hercule. Au centre la statue sonnait les heures en frappant un gong avec
sa massue. Le détail de la sonnerie est connu : un coup était frappé à
la fin de la première heure, puis deux, trois… jusqu'à six pour l'heure
de midi. Le cycle recommençait de un à six pour les heures du soir. « Au-dessus du dais, une statuette de Pan dressait l'oreille à chaque sonnerie du gong et, le couple de satyres qui l'entourait se moquait de lui en grimaçant ».
Sous le dais de gauche, Hercule était représenté supposé en
marche, surmonté d'un pâtre immobile; sous le dais de droite,
Hercule s'apprêtait à décocher une flèche, surmonté d'une statuette
de Diomède annonçant à son de trompette la douzième heure, fin de la journée de Soleil et de travail.
Entre les dais, en retrait, deux esclaves couraient vers Hercule sonnant
les heures, l'un apportant la nourriture du matin à la première heure,
l'autre l'eau pour le bain du soir à la dernière heure.
Cette description imagée de Procope ne donne aucun détail concernant le qui pilotait le système, mais elle donne une idée de la
grande complexité de cette « merveilleuse horloge à eau ». Selon Diels,
cette horloge serait la plus ancienne installation horlogère accompagnée
d'une sonnerie mécanique des heures. On ne connait ce mécanisme que par les rares écrits retrouvés. On en imagine la complexité qui permettait à une époque aussi retirée de marquer avec précision l'heure, les jours, les phases lunaires et les périodes du zodiaque.
Mais revenons à l'horloge de la Piazza. elle est l’œuvre d'un horloger venu d’Émilie-Romagne, Giancarlo Ranieri. Un sujet du pape donc, puisque la région faisait alors partie des possessions pontificales. On raconte que lorsque il acheva son chef-d’œuvre, on lui creva les yeux sur l'ordre des Inquisiteurs d’État, afin de l'empêcher de créer un mécanisme identique ou encore plus perfectionné. Cela reste une légende car il n'y a aucune mention d'une telle décision dans les Archives de la République. Celle-ci était très pointilleuse quant à l'enregistrement des mesures, décisions et actions, même secrètes. La Raison d’État ne l'emportait jamais sur la loi, ce que Napoléon ne comprit pas quand il réduisit à néant la Sérénissime.
Mais, en dépit de tout, Venise continue d'exister et de vivre. Ses traditions, ses rites et ses coutumes perdurent depuis des siècles. La Pasquetta fait partie de ces moments typiques qui «font toujours sens» pour les vénitiens. Mais, place aux rois mages qui défilent pour le plus grand bonheur des petits et des grands :
Un nouveau festival ? répondait au téléphone une vieille amie vénitienne avec qui j'évoquais ce matin cette manifestation Une nouvelle vision d'une Venise dépoussiérée et nettoyée des squames du tourisme Unesco autant que des manifestations super-élitistes pour des Happy Few hors-sol ? On verra bien quand tout aura eu lieu. Une initiative intéressante en tout cas qui fera pousser des hauts-cris aux orthodoxes défenseurs de la venezianità qui ont raison de vilipender tout ce qui tenterait de faire de Venise un clone de n'importe laquelle des métropoles modernes. Ici ce n'est pas Dubaï ni New York, ni Paris ni Berlin. C'est Venise.
Les gens de SuMus semblent en être conscients. Je n'ai pu assister à leur lancement, exilé loin de la Lagune. Jargonnant sans arrogance ni prétention, juste ce qu'il faut pour attirer l'attention de ceux qui sentent bien que quelque chose doit impérativement changer pour que tout reste comme avant, c'est à dire pour que Venise en retrouvant une vie quotidienne non conditionnée par le tourisme Unesco et la bêtise des troupeaux qu'on promène en avant-garde des détrousseurs d'oxygène vital et de traditions séculaires.
Alors va pour le jargon et suivons les initiatives intelligentes de ce mouvement. SuMus rappelle l'universalité de Venise mais aussi son statut unique et primordial dans une époque d'effondrement et d'inculture, d'égoïsme et de violence. On le sait bien, à Venise rien ne se ressent de la même manière. On s'y ressource, on y aime et on y meurt comme partout mais avec une lumière unique et un rythme différent.
Du 21 au 25 mars, ce sera ainsi la première édition du festival Aquamour. Original dans sa conception, sa forme et sa gratuité, ce festival s’adresse à tous les publics grands et petits,
vénitiens et internationaux. Cette année, il portera le thème de
l’intelligence de l’eau.
Original dans son contenu
comme dans sa forme, puisqu'il est à la fois artistique, ludique, éducatif,
scientifique et économique. Il sera décliné autour de plusieurs espaces
complémentaires que même les vénitiens ne connaissent pas encore ou peu. La preuve que Venise a d'autres ressources que le planplan des Maries ou le défilé du doge et de la dogaresse ersatz gogos de sfilata historique où l'on mélange les époques et les genres puisque le public ébahi gobe tout à la manière de Disneyland. Non Aquamour, ce sera autre chose visiblement. Nous jugerons sur pièce n'est-ce pas. En voici les grandes lignes et les liens pour mieux comprendre ce qu'est SuMus :
«AcquaShowroom, espace LeonardH2o en hommage à
Leonard De Vinci qui a dit “scrute la nature c’est ton futur”. Cet
espace se trouvera à la forge du futur et exposera des start-ups
innovantes dont les activités sont aquatiquement bio-inspirées. AcquaPavillon,
dans la serre du jardin royal, venez découvrir les vertus de l’eau
informée, l’eau osmosée, l’eau purifiée, l’eau dynamisée, et les
bienfaits de l’eau de Quinton.
AcquaTalk,
l’auditorium du Human Safety Net donnera la parole à des speakers du
monde entier venus partager avec nous leurs connaissances sur le cycle
de l’eau, l’économie régénérative et le biomimétisme.
AcquaExhibitions :
différents artistes vénitiens et internationaux exposeront leurs œuvres dans différents espaces culturels de la ville permettant
d’apprécier la puissance et l’intelligence de l’eau à travers leur
créativité.
AcquaHappening : plusieurs mouvements citoyens seront organisés autour de ces 4 jours autour de l’eau, du partage et de la convivialité.
Acquaconcert:
2 concerts seront organisés autour de l’eau, de la paix et de l’amour.
Le premier au théâtre Goldoni accueillera le groupe Monte Bello avec une
programmation spéciale autour de la thématique de l’eau. Le second aura
lieu au Conservatorio Benedetto Marcello et accueillera Luca Franzetti
et la soprano iranienne d’Opéra for Peace,Forooz Razvi.
AcquaFilms:
une sélection de courts et longs métrages autour de l’eau suivi de
débats aura lieu tous les après-midis au cinéma Rossini en collaboration
avec l’association qui porte l’acquafilm festival.
Venez nombreux. Toutes les activités seront gratuites et ouvertes au plus grand nombre.
L’objectif
de ce festival est de valoriser l’eau et tous les écosystèmes
aquatiques comme des biens à la fois précieux mais aussi comme source
d’innovation pour le modèle sociétal de demain. »
Vous trouverez que le site de l'association toutes les informations sur le festival bien sûr (d'où est extrait la longue citation ci-dessus, mais aussi qui sont les fondateurs, initiateurs, animateurs de tout ce qui depuis 2021 fait avancer le projet SuMus, avec Venise comme le phare du monde, expression qui nous parle à Tramezzinimag, tant nous disons et répétons depuis vingt ans sur ce site et ailleurs, que Venise par son passé, son histoire, son écosystème, les initiatives de son peuple au fil des siècles, a toujours été une source d'inspiration, parfois trop oubliée aujourd'hui.Venise est un modèle d'organisation sociale, de combat écologique, d'ouverture au monde et d'inventions universelles. Merci à SuMus de tenter de le faire comprendre au monde !
Vous trouverez le détail de tout ce que l'association a organisé depuis ses premiers vagissements sur le site. Il y en a eu de belles choses déjà ! Le bébé a mûri et désormais, il faut souhaiter que ce qui y est dit et fait trouve un écho favorable parmi tous ceux qui veulent sauver l'âme et la vie de la Sérénissime.
C'est aujourd'hui l'ultime jour de Carnaval Xe morto, xe finio carnoval ! Ne versons pas de larme, il reviendra, frais et gaillard dès l'année prochaine !
Il y a deux types de personnes : celles qui aiment se travestir et celles qui détestent. parmi les adeptes du déguisement, de tout temps, on trouve ceux qui aiment paraître autres ou dis-paraître sous des accoutrements divers qui cachent aux autres qui ils sont et parfois ceux qu'ils sont. Ils aiment se sentir différents et en se donnant à voir peuvent espérer se cacher. Ainsi des gens masqués qui des semaines durant lors les carnavals d'antan de la Sérénissime (la période où l'on allait masqués duraient alors une bonne partie de l'année ) allaient au théâtre, dans les cafés et aux bals le visage couvert d'un masque. Le patricien et les plébéiens se mêlaient joyeusement La grisette pouvait passer pour être une princesse étrangère ou une grande dame en goguette, le jeune héritier proche du doge se transformait en manœuvre de l'arsenal ou en marin du nord.
Il fallait faire rêver, séduire et s'amuser avant que le Carême ramène tout le monde vers la contrition et l'abstinence. Une liberté de mœurs, le reste de l'année décriée et parfois pourchassée, dont tous profitaient sans vergogne. Un peu de cet esprit est resté. On le retrouve à certains moments pendant les carnavals d'aujourd'hui à Venise. On dit que ces moments qui pourraient jaillir du somptueux passé de la Dominante avant que l'Attila corse et son armée de soudards mettent fin à la République. C'est vrai. Rarement, mais c'est vrai. On croise encore de somptueux costumes bien portés, des masques dont on aimerait soulever le voile et un parfum de settecento qui semblerait presque authentique. Hélas, pour la grande majorité, le grossier et le vulgaire règnent en maître. C'est à qui sera le plus ridicule. Le carnaval est un outil de défoulement pour les masses abruties par les médias.
Heureux les happy few qui peuvent se rendre à des soirées privées - toutes en accès payant - ou à ces bals «comme avant» (ou presque) qui s'organisent dans certains palais. Ils remontent le temps et peu importe les télescopages du temps, la marquise poudrée toute de soie vêtue croise le maréchal d'Empire ou un cardinal romain... Mais ce n'est pas l'image représentative de ce que le carnaval est aujourd'hui. Peut-on le regretter ou faut-il se réjouir de cette dynamique de la fête et du plaisir mis aux diapason de nos temps et de leurs usages ?
Mais à tout cela, le carnaval des calle et des campi, celui des palais et des parades navales, ce que je préfère ce sont les fritoe traditionnelles qu'on déguste entre amis, en famille, avec un de ces chocolats comme on en préparait du temps de Goldoni ou bien avec un verre de Malvasia ou une vieille grappa !
Et, pour finir joliment, un peu de musique avec cet extrait du final de la pièce de Goldoni donnée en 2017 au teatro Astra de Torino. Un très beau souvenir pour ceux qui ont pu y assister ( et y participer). Certains parmi les lecteurs de Tramezzinimag doivent encore s'en souvenir !